Cette communication fut prononcée par monsieur l’Abbé Tournier, aumônier de la Charité à Saint-Ferjeux, le 23 mai 1908 lors du congrès national eucharistique réunit pour fêter le troisième centenaire du miracle de Faverney. On la trouve dans le livre de compte rendu des travaux aux pages 181-191. Nous avons ici la première partie de ce rapport, la deuxième partie sera donnée dans le prochain article. Enfin je n’ai pas conservé les notes qui consistent en des références bibliographiques la plupart du temps. Toutefois je publierai ultérieurement une version téléchargeable et imprimable (au format PDF) comprenant le texte intégral de ce rapport. Si une telle version vous intéresse pour les autres articles n’hésitez pas à m’en faire part dans vos commentaires.
Avant 1608, la propagande protestante était aussi habile qu’acharnée. L’audace, les crimes et les profanations contre la sainte Eucharistie en particulier dépassaient toutes les bornes. Le miracle a fait reculer l’erreur; il a chassé les fauteurs de l’hérésie. Et les catholiques, encouragés, excités, enthousiasmés par le prodige, ont redoublé leurs efforts, ont réparé les ruines et ranimé partout la foi et la piété, surtout à l’égard du saint Sacrement.
Voilà ce que je voudrais exposer brièvement.
C’est surtout contre le sacrement de l’Autel que furent dirigées, au XVIème siècle, les attaques du protestantisme. Le dogme de la présence réelle devint le point de mire de toutes ses négations. Partout où les hérétiques parvinrent à dominer, le premier usage de leur autorité fut d’éteindre la lampe du sanctuaire, de démolir les autels, de profaner l’Eucharistie et de fouler aux pieds les ornements sacrés.
Lorsque, sous l’influence toute-puissante des ducs de Wurtemberg, Montbéliard, Blamont, Héricourt eurent chassé leurs prêtres et ouvert à l’hérésie les portes de leurs églises, le luthéranisme poursuit audacieusement ses conquêtes dans notre province. Les gouverneurs de Besançon et beaucoup de notables, endoctrinés par les prédicants qu’ils cachent chez eux, n’attendent que le moment de livrer les catholiques aux princes protestants. Pontarlier est envahie par des prédicants qui. pour fomenter l’erreur, s’introduisent comme domestiques dans les maisons riches ou se mettent à la disposition des jeunes gens pauvres pour leur apprendre un métier. A Dole, l’erreur envoie des voitures de mauvais livres. A Salins, toutes les nuits on chante à gorge déployée les psaumes de David. A Saint-Amour, le venin des huguenots croissait fort, écrivait Claude Bebin au cardinal Granvelle.
La région du bailliage d’Amont surtout est fortement attaquée. De riches seigneurs, voisins de l’abbaye de Faverney, donnent aux idées nouvelles le secours de leur épée. De Citey, gentilhomme du lieu, passe au service du duc des Deux- Ponts. Le sire d’Amance, gardien de l’abbaye, fait de ce village un foyer du protestantisme et célèbre, pendant le carême, une noce avec force gibier et venaison. « Ceux de Vesoul, de même pertinacité que lui, sont à sa dévotion, ainsi que la plupart de ceux de Besançon », écrit Claude Bebin. Le sire de Saint-Remy pille le couvent de Cherlieu, y met le feu et demeure joyeux spectateur de l’incendie. Le seigneur de Demangevelle et de Vauvillers donne asile à un pasteur de Genève ; le prêche se fait dans sa maison à porte ouverte.
A Luxeuil, on va au prêche et on bat un religieux ; le venin menace de s’étendre et de perdre la ville, Conflans s’agite de son côté. Muretel, habitant du lieu, s’érige en prédicant. « Plusieurs de Bouligney et des villages voisins » accourent à ses prédications. Sa mort n’arrête pas les progrès du mal. Granvelle écrit deux ans après : « Il serait grand temps que Claude de la Beaume purgeât Conflans, Fontenois-en-Vosges et autres lieux infectés ». Dans la terre de Jussey, la Réforme étendait ses racines. Le prieur de Laître alla à Genève conférer avec les hérétiques. Deux de ses complices entretenaient avec les Gueux des Pays-Bas des correspondances si compromettantes que, de leur aveu, on les aurait pendus l’un et l’autre, si elles eussent été surprises, A la verrerie de la Rochère-lez-Passavant, la propagande est d’autant plus dangereuse qu’elle a pour auteurs les maîtres du lieu. Le prêche tenu par eux la nuit même où arriva le miracle, les blasphèmes qu’ils y débitèrent, prouvent assez à quel degré était montée dans leur cœur la haine de nos saints mystères.
On peut juger des conquêtes du protestantisme dans la province par le nombre de villages où il avait des prêches ou des adeptes ardents ; on en comptait plus de cinquante.
Dans la dernière partie du XVIème siècle, les adhérents de la Réforme sont aussi zélés qu’au début . Nous le retrouvons avec le même acharnement jusqu’à la veille du miracle. En 1605, il y a encore à Besançon une forte poussée huguenote. La répression est énergique, son auteur est condamné à mort . En 1609, nous voyons l’hérésie essayer d’y continuer timidement ses efforts, mais depuis les documents sont muets sur la propagande protestante ; les faits vont prouver que les flammes miraculeuses de Faverney avaient porté un coup fatal à tout l’échafaudage d’erreurs, de brigandages et de profanations qui avaient mis le catholicisme en Franche-Comté à deux doigts de sa ruine.
Pour calculer la grandeur du danger, un mot seulement sur les ruines religieuses accumulées par la propagande hérétique.
A Besançon, des bandes de quatre cents huguenots, très bien armés, parcourent plusieurs fois, pendant la nuit, les rues de la ville en se livrant à des voies de fait. « Avant peu, disait un hérétique, on coupera tant de têtes que le sang coulera comme quand il pleut ». Dans la province, « on était comme dans une grande forêt de brigands », écrivait-on à Granvelle. Le chanoine Lebel, de Tarcenay, fut tué par un hérétique, près de Vellefaux . L’influence de la Réforme sur les mœurs fut déplorable, comme le prouve l’enquête faite, en 1572, à Besançon, par les commissaires impériaux. Elle souffla partout la haine des prêtres, multipliant contre eux les injures ordurières et les couvrant de ridicule, ainsi que les mystères sacrés et les cérémonies du culte .
La miséricorde de Dieu répondit à l’impiété de ces blasphèmes par le miracle de Faverney.