Confréries du Saint-Sacrement. – Fondation de bénédictions.
Cependant une vie religieuse plus intense circulait dans notre pays. Les confréries du Saint-Sacrement s’y multipliaient. Il en existait déjà quelques-unes avant 1608 : la confrérie de Saint-Pierre date de 1399, celle de Sancey de 1591 ; la confrérie romaine, érigée par Paul III à Santa Maria supra Minervam, en 1539, dut également donner lieu à d’autres fondations, par exemple celle de Vesoul. Mais, c’est à partir de 1608 que le mouvement s’accentue en Franche-Comté . Après Faverney, nous voyons Gray (juin 1609), Moroy (1617), Vuillafans (1614) ; le Russey et les Franches-Montagnes, Traves (même époque) ; Chaux-lez-Clerval (avant 1668) ; Banans (1676) ; Colombier (1707) ; Servance (1709) et une quantité indéfinie d’autres dont nos vénérés confrères n’ont pu que nous dire : elles sont très anciennes. Il n’en reste quelquefois que des usages pieux, comme l’exposition du saint Sacrement au troisième dimanche du mois ; quelquefois moins encore : à Fourg-lez-Quingey, c’est, sur la place publique, une croix de pierre, portant un ostensoir ; à Fougerolles, un ostensoir en bois, que le clergé mettait publiquement aux enchères, il y a quelques années encore, et qui était porté, aux processions solennelles, par l’heureux adjudicataire.
Les recherches que nous avons faites, si insuffisantes qu’elles soient, montrent que le tiers de nos paroisses avaient, au XVème siècle, la confrérie du Saint-Sacrement.
En corollaire, et à côté de ces confréries, se développèrent, au XVIIème siècle, les fondations de messes du saint Sacrement, spécialement le jeudi, et les bénédictions qui s’y rattachaient. C’est ainsi qu’à Scey-sur-Saône, les fondations de messes à exposition, complètement inconnues avant 1608, se multiplient à partir de cette époque.
Charles-Louis de Vienne de Beauffremont prend d’abord tous les premiers jeudis du mois, plus quatre-vingts autres jours de l’année ; les habitants se hâtent de suivre l’exemple de leur seigneur, et, successivement, on voit fonder le deuxième jeudi de chaque mois, puis le troisième, puis le quatrième ; le fondateur qui vient ensuite en est réduit à accepter l’hypothétique cinquième jeudi. Le suivant, ne sachant que faire, reprend le premier jeudi, au cas où il y aurait deux prêtres. Enfin les derniers arrivants se contentent de vêpres qu’ils fondent avec grands détails : « A l’O salutaris on fera trois fois l’ostension du précieux corps comme c’est la coutume à la Feste de Dieu ».
Encore ici les documents abondent. Partout ces fondations existent aux XVIIème et XVIIIème siècles. Elles sont tellement populaires, qu’elles ont passé en nos Noëls bisontins : la Commère, conversant avec saint Joseph, reconnaît que la pauvreté est bonne conseillère, et que Barbizier, depuis qu’il n’a plus de vin, est bien plus exact aux bénédictions du saint Sacrement.
Voiquy Tounot, qu’y me démente.
N’ot-ti pas vrai, qu’in dimanche maitin,
Avant que la grand’messe on chante,
L’aira déjà bu ne channe de vin ?
Ai présent, l’ot tout ai fait saige.
Y ne pa (perd) point de congrégation.
Nous ans lai pa dans lou ménaige,
L’ot des premies as bénédictions.
Mais il faut étudier ces questions de plus près, et rechercher les auteurs de ces bénédictions et de ces confréries. Nous arriverons vite à reconnaître que ce sont des personnages zélés pour la sainte Hostie de Faverney, et qui ont subi l’influence du monastère. Prenons quelques exemples. Nous avons vu la famille de Bauffremont s’éprendre subitement d’un grand zèle pour la fondation de messes à exposition. Mais le seigneur dont il s’agit sortait de l’école fondée à Faverney par dom Brenier. Il avait eu pour maître ce digne religieux, qui était comme l’apôtre du miracle et du culte eucharistique.
Deuxième exemple : le 18juillet 1609, Clérialde de Vergy, comte de Champlitte, fonde, conjointement avec sa femme, des messes du saint Sacrement en l’église de Gray. Or ce même seigneur se trouve avoir été, l’année précédente, le fondateur et le premier membre de la confrérie de Gray, érigée en souvenir du miracle de Faverney. De même, A.-P. de Grammont, archevêque de Besançon, promoteur d’une fondation de messes à Scey-sur-Saône, auteur de la confrérie du Russey , est lui-même un élève de l’école de Faverney. Son oncle était abbé de Faverney, son frère s’était fait inscrire un des premiers de la confrérie, et lui-même se laissait guider dans les actes de son épiscopat par notre dom Brenier . Parlons encore du sire de Varambon, l’ami du monastère, qui y fait des fondations, celui dont les Jésuites recherchaient la protection pour aborder l’inexorable abbé Doresmieux . Ne serait-il pas le premier promoteur de ces institutions eucharistiques si répandues dans le canton du Russey et qu’une mosaïque de la Chenalotte semble rattacher au miracle de Faverney ? Car le sire de Varambon, possesseur de nombreuses terres du côté de Faverney, était en même temps seigneur de Maîche et des Franches-Montagnes. De même Louis de Vienne, dont j’ai montré la piété envers la sainte Hostie, était seigneur de Guyans, Saules, Vuillafans, Montgesoye, et voilà qui explique bien des coïncidences curieuses entre le miracle de 1608 et certaines fondations eucharistiques dans le département du Doubs.
Cherchez maintenant les prédicateurs qui provoquent ces institutions. Ce sont les capucins de Vesoul et de Gray, qui ont mis tant d’ardeur à la diffusion du miracle ; ce sont, avec le chanoine d’Orival , les missionnaires d’Ecole, chez qui nous avons trouvé une espèce de circulaire destinée sans doute à être lue publiquement dans les villages voisins des centres de la mission et dont la conclusion est remarquable : faire des œuvres en l’honneur de ce Sacrement, qui d’une manière si particulière a honoré notre province. Il faudrait enfin poursuivre plus loin ces recherches, et relever minutieusement les noms inscrits au registre de Faverney. Nous sommes persuadés que ce sont les mêmes personnes qui, en chaque village, ont laissé après leur mort les plus belles fondations.
Adoration perpétuelle. – Visite au saint Sacrement. – Assistance à la messe quotidienne. – Communion fréquente.
Ces titres ne tromperont personne. Nous ne prétendons pas qu’avant 1608 il n’y avait ni communions, ni assistance aux messes quotidiennes, ni adorations, etc. Mais nous affirmons que ces pratiques étaient moins développées qu’elles ne l’ont été depuis, et que la confrérie de Faverney a joué un grand rôle dans leur diffusion.
Nous avons entre les mains les statuts de la confrérie romaine de 1700 , et ceux de la paroisse Saint-Pierre de Besançon, publiés par M. Alviset en 1630, alors que la confrérie de cette paroisse avait déjà deux siècles et demi d’existence . Or, il est remarquable que ces règlements, tant de Rome que de Besançon, s’occupent très peu de la vie intérieure des associés. L’élection des conseillers et du prieur, la réunion mensuelle, le paiement des cotisations, l’honneur à rendre au saint Viatique, les messes pour les défunts, les processions, tant goûtées de nos pères, voilà les points principaux du règlement, qui pourrait s’appliquer facilement, avec quelques modifications, à une confrérie de Saint-Antoine ou de Saint-Vernier.
Au contraire, et ceci est caractéristique, les statuts de Faverney de 1608 se préoccupent tout d’abord de cette vie chrétienne : « Nous avons délibéré, nous congréger, à dresser une confrérie semblable à celle approuvée par le Saint-Siège (…) 1° (…), 2° (…), 3° Pour plus souvent nous approcher de la table de Dieu (…), 5° Pour nous employer à notre possible à la révérence et adoration de la sainte Eucharistie ». Les articles du règlement répondent à ce préambule : Article III. « Se communieront aussi et confesseront aux fêtes de la Pentecôte, aux principales fêtes de Notre-Dame, aux dimanches des octaves du Saint-Sacrement, voire, si se peut faire, tous les premiers dimanches de chaque mois ». Cette dernière partie n’est encore qu’une invitation, bientôt elle deviendra un ordre strict.
Vers 1690 , paraît un deuxième règlement de la confrérie. L’évolution y est manifeste. La vie chrétienne y apparait plus intense : Article II. « Les confrères doivent allumer leur zèle pour la vénération du saint Sacrement, soit en entendant chaque jour la messe, si cela se peut, soit en visitant au moins une fois par jour une église où il est conservé ».
L’article de la communion n’est pas encore obligatoire, mais les litanies annexées aux statuts portent : « ut nos ad frequentem usam Eucharistiae perducere digneris ».
Nous voici au XVIIIème siècle et un troisième règlement s’élabore . Cette fois les communions y sont déclarées obligatoires, sous la seule réserve de l’autorité du confesseur. De plus, l’adoration perpétuelle y est recommandée, comme un fruit naturel de la piété eucharistique. « Ceux qui seront inspirés de se choisir, chaque année, une heure fixe, afin de contribuer à l’adoration perpétuelle de cet auguste mystère, sont invités de faire demander au Père Directeur, chacun, un billet imprimé pour ce sujet ». En fait, et à partir du commencement du XVIIIème siècle, s’organisent partout les adorations perpétuelles, que Ferdinand de Rye avait indiquées comme la conséquence naturelle du miracle de Faverney . On en trouve à Faucogney, Boujailles, Morteau, Pesmes, Vuillafans, Dole, Salins, Lons-le-Saunier, Pontarlier, Orgelet, Delle, Saint-Vit, Ornans, Frasnes-le-Château, Saulx, Clairvaux, Lure, Fontenoy-lez-Montbozon, Orgelet, Saint-Maur, Dambelin, Grand-Noir, Chissey, Gy, Nozeroy, etc. . Il faudrait citer en particulier Colombier et Servance, sur lesquels nous avons des détails particulièrement édifiants . Mais partout c’est un vif élan de foi : soit que l’adoration se fasse une fois par an, ou tous les mois, ou aux principales fêtes, ou tous les dimanches, ou tous les jours, elle est l’expression de la dévotion populaire la plus touchante. La confrérie de Saint-Pierre se laisse gagner à son tour par ce mouvement qui devient général. Elle introduit dans son règlement l’adoration perpétuelle : Article VI. « Le troisième dimanche du mois, les confrères ne manqueront pas de faire leur demi-heure d’adoration avec leur cierge allumé ». On trouvera dans M. Suchet de plus amples détails sur ce dernier point. Ainsi s’est formée, dans nos populations de Franche-Comté, cette piété ardente qui leur a fait repousser successivement les assauts du jansénisme et de la Révolution, et que Sauzay décrit, d’une manière si admirable, en son ouvrage de la Persécution. Nous avons essayé d’en rechercher les causes et nous avons cru en trouver une, et des plus abondantes, dans le grand événement de 1608. Il nous faut arrêter ici ce travail, si incomplet qu’il soit. Qu’il puisse servir à la glorification de la sainte Hostie de Faverney.