Faverney en 1608
Afin de mieux discerner ce qu’on pourrait appeler les raisons providentielles de l’événement de 1608, il n’est pas sans utilité de dire quelques mots du cadre humain dans lequel va se produire cette intervention de Dieu.
Faverney, en 1608, était déjà une grosse bourgade de la Comté de Bourgogne alors gouvernée par ses Archiducs, l’infante Isabelle fille du Roi d’Espagne Philippe II et son mari l’Archiduc Albert d’Autriche. Heureux pays, heureux temps où l’on ne connaissait pas les impôts ; période de prospérité où se relevaient peu à peu les ruines accumulées par la conquête française de 1595.
Époque inquiète cependant : c’est le temps où dans notre comté s’insinue la propagande protestante ; Montbéliard n’est pas loin et ses prédicants, bravant les ordonnances rigoureuses du parlement de Dole, pénètrent partout.
On trouve en 1608 des centres de rayonnement de l’hérésie jusque dans les localités limitrophes de Faverney : Purgerot, Contréglise, Conflans, Amance surtout. Ce qui frappe les esprits, c’est l’audace, le dynamisme des prédicateurs de l’hérésie : au péril de leur vie, ils parlent contre la Messe, contre les prêtres, contre la Vierge ; les prêches nocturnes se multiplient. Toutes ces manifestations entretiennent dans les esprits une atmosphère de doute et de négation.
Il devrait pourtant se trouver à Faverney une citadelle du catholicisme : l’abbaye bénédictine. Malheureusement, elle est bien déchue, victime du régime de la commende, et ruinée matériellement par les invasions : elle n’a plus ni salle capitulaire, ni réfectoire, ni bibliothèque. L’abbé commendataire, l’évêque Jean Daroz de Lausanne a bien, au début du siècle, restauré le quartier abbatial, mais les lieux réguliers sont encore à reconstruire, et les moines, trop peu nombreux (ils sont six et deux novices) ont de plus en plus réduit au minimum la célébration de l’office monastique : Il n’y a plus ni grand-messe quotidienne, ni office de nuit, si ce n’est aux grandes fêtes.
Dans leur belle église consacrée à Notre-Dame la Blanche dont la statue miraculeuse a ressuscité des centaines d’enfants morts sans baptême, les moines organisent encore quelques grandes cérémonies où se réveillent la foi du peuple et la leur. C’est ainsi qu’en 1604 ils ont obtenu du Saint-Siège le renouvellement d’une indulgence de 10 ans accordée aux pèlerins qui visiteraient l’église abbatiale le jour de la Pentecôte et les deux jours fériés qui suivent : pour exciter la piété des foules, on exposait, en cette occasion, le Saint Sacrement.
Le miracle
Le samedi 24 mai 1608, veille de la Pentecôte, les religieux préparent comme chaque année leur modeste reposoir. Près de la grille du chœur, du côté de l’évangile, ils disposent une table sur laquelle est placé un tabernacle dont la base est formée par un marbre d’autel. Le tout orné de nappes, de tapis et surmonté du dais que l’on porte aux processions.
Aux vêpres de ce samedi, le prieur apporte solennellement au reposoir le reliquaire-ostensoir.
Il contenait dans un tube de cristal un doigt de Sainte Agathe et au-dessus, dans une lunule d’argent, trop large, deux hosties consacrées à la Messe du matin.
Sur la table, le sacristain place deux lampes de verre allumées et deux chandeliers d’étain.
Puis sur la nappe d’autel ornant le devant du reposoir sont épinglés le Bref Apostolique de Clément VIII accordant les indulgences et la lettre de l’Archevêque Ferdinand de Rye en autorisant la publication.
L’office du soir terminé, les moines ferment l’église et se retirent. Le lendemain, dimanche de la Pentecôte, l’adoration du Saint Sacrement est reprise et poursuivie toute la journée au milieu d’un grand concours de fidèles venus pour gagner les indulgences. Au soir de ce dimanche, comme la veille, l’église est fermée, et les moines vont se coucher après avoir confié Notre Seigneur à la garde des deux veilleuses à huile remises en état pour la nuit.
Or le lundi matin 26 mai, lorsque le prêtre sacristain Dom Jean Garnier vient ouvrir les portes de l’église, il la trouve remplie de fumée. À la place du reposoir, un amas de cendres d’où émergent quelques débris calcinés. Éperdu, Dom Garnier court alerter ses frères, puis se répand dans les rues, réveille les bourgeois et leur annonce le sinistre.
Cependant les moines sont accourus et fouillent l’amas de cendres pour y découvrir au moins quelques vestiges de l’ostensoir.
Ils ne trouvent rien et se lamentent quand un jeune novice, le frère Antoine Hudelot, ayant levé les yeux vers les grilles du chœur contre lesquelles était adossé le reposoir, aperçoit brusquement l’ostensoir au milieu de la fumée. Il est à l’endroit même où le prêtre l’avait exposé, mais comme il ne reste rien du tabernacle, l’ostensoir se trouve comme suspendu, immobile dans l’espace et légèrement incliné, le bras gauche de la petite Croix qui le surmonte semblant toucher l’un des barreaux de la grille.
L’émoi est alors à son comble d’autant plus qu’arrivent dans l’église les premiers habitants alertés par les cris de Dom Garnier. Ensemble, moines et bourgeois se livrent à de minutieuses investigations : l’ostensoir est longuement examiné à l’aide de cierges allumés : aucune trace d’un support quelconque le maintenant dans l’espace !
Des cendres sont retirés les restes d’un chandelier d’étain à demi fondu, le marbre d’autel brisé en trois morceaux, les quatre pieds de la table plus ou moins calcinés et, chose extraordinaire, le Bref du Pape intact, ainsi que la lettre de l’Archevêque.
Comme la foule se fait plus dense et se presse contre la grille du chœur, peu solide et dont le feu a rongé les bases de bois, on établit devant elle, à l’aide de quelques planches, un barrage de fortune. Puis, comme il faut prévoir la cessation du prodige, le Prieur fait placer sur la table aux trois quarts consumée une planche avec un corporal et quelques cierges. On affiche de nouveau le Bref papal et la lettre épiscopale.
Enfin les moines décident d’envoyer quérir les Pères Capucins de Vesoul qui ont renom de science et de piété afin, dit un témoin, « d’avoir consolation sur ce qu’ils devaient faire ».
Les capucins n’arriveront que dans la soirée : ils vont à pied et il y a 19 km de Vesoul à Faverney.
Par contre à l’église abbatiale, paysans et bourgeois, curés en tête, arrivent de plus en plus nombreux des villages environnants.
Alors, au cours de l’après-midi se produit un incident, qui est à noter. La foule est maintenant considérable dans l’église et sa pression contre la grille du chœur se fait si forte, par instants, que les moines éprouvent des craintes pour l’ostensoir miraculeux : il est en effet très proche de la grille et semble même la toucher par un des bras de sa petite croix. Pour renforcer le barrage de planches établi le matin, on amène une longue poutre, mais l’opération est menée maladroitement, la lourde pièce de bois heurte brutalement la grille qui chancelle et s’écarte. Incident providentiel on constate alors l’absolue immobilité de l’Ostensoir ; la preuve est faite et il y en aura d’autres, qu’il n’est retenu aux barreaux d’aucune manière.
Les capucins surviennent une heure avant les vêpres et de suite en présence des témoins qui sont maintenant des milliers ils procèdent à leur enquête sur laquelle nous reviendrons car ses conclusions ont été consignées dans le procès-verbal des enquêteurs épiscopaux qui arriveront les jours suivants.
Avant le chant des vêpres, le Père Gardien conseille de placer un missel sous le corporal qui recouvre la table, afin de diminuer la distance entre ce reposoir provisoire et l’ostensoir miraculeux.
Une troisième fois la nuit survient, mais cette fois une foule priante et qui sans cesse se renouvelle entoure le Saint Sacrement.
Le mardi 27 mai, les pères capucins et les moines de l’abbaye ont rédigé de bonne heure un mémoire qui sera envoyé sans tarder à l’Archevêque de Besançon afin de porter les faits à sa connaissance et de les soumettre à son jugement.
Cependant, pendant toute la matinée, des Messes, célébrées par des curés voisins, se succèdent au maître-autel après la Messe conventuelle. Vers 10 heures, c’est le tour de Messire Nicolas Aubry, curé de Menoux, village situé à 5 km de Faverney.
Après le Sanctus de cette Messe, l’un des cierges qui brûlent sur le reposoir s’éteint. Dom Jean Garnier le rallume. Mais coup sur coup le même incident se répète une seconde et une troisième fois sans cause apparente.
Tous les regards se portent alors vers l’ostensoir. Or au moment où le curé de Menoux procède à l’élévation de l’hostie qu’il vient de consacrer, on perçoit comme le son d’une lame d’argent vibrante et on voit l’ostensoir se redresser d’abord puis, de lui-même, « se couler doucement » disent les témoins et se poser sur le corporal « tout aussi proprement que s’il y fût révéremment posé par un homme d’Église. »
Ainsi prend fin, après 33 heures, ce prodige et de façon aussi extraordinaire qu’il avait débuté. Cela en plein jour, à 10 heures du matin, aux yeux d’une foule qui n’avait pas ses yeux dans sa poche et évaluée à cet instant par un témoin à un millier de personnes.
L’enquête épiscopale
Demandons maintenant à l’enquête épiscopale un supplément de précision dans la constatation des faits que nous venons de rapporter.
L’Archevêque de Besançon, dès qu’il eut connaissance des événements de Faverney a immédiatement nommé trois enquêteurs pour aller sur place s’assurer de la vérité des faits allégués. Ils arrivent à Faverney le samedi 31 mai et se mettent à l’œuvre sans retard, poursuivant leur enquête jusqu’au 4 juin.
54 dépositions sont recueillies : les commissaires épiscopaux eussent pu interroger beaucoup d’autres témoins car les pèlerins affluèrent par milliers pendant les lundi et mardi de la Pentecôte, le procès-verbal de l’enquête en fait foi. Cependant ils estiment que 54 dépositions forment un ensemble suffisant.
Sur ce nombre, on a le témoignage de 13 religieux dont les 8 de l’abbaye et 3 capucins de Vesoul, 2 récollets de Provenchère, petit couvent voisin de Faverney, 3 curés dont celui de Faverney et de Menoux puis des ouvriers, des paysans, des bourgeois, des magistrats. Tous requis de prêter serment sur l’évangile s’exécutent ; tous signent, ou se déclarent illettrés. Notons que leur témoignage porte sur des faits faciles à constater et ne datant que de 3 ou 6 jours, qu’il s’agissait non du “comment” de ces faits mais de leur réalité.
En résumé, les dépositions recueillies portent sur les chefs suivants :

a) L’incendie du reposoir.
Il n’est pas de témoins, sauf peut-être ce marchand de Faverney qui déclare avoir vu après minuit, à travers les vitraux, de grandes lueurs dans l’Eglise abbatiale.
Mais l’incendie est surtout attesté par les débris du reposoir la table brûlée à l’exception des quatre pieds ; les linges, nappes, ornements consumés ; des deux chandeliers d’étain, l’un intact, l’autre à moitié fondu ; la pierre d’autel tombée à terre et brisée en trois morceaux.

b) La conservation des saintes hosties des reliques de Sainte Agathe, du Bref papal et de la lettre épiscopale.
Après le miracle, on a ouvert la lunule : les deux hosties furent trouvées intactes, mais avec quelques taches de roussi. Par contre le cercle de la lunule, le pied de l’ostensoir sur lequel se voient encore des débris de linge brûlé, sont noircis par le feu.
La relique de Sainte Agathe et le tube de cristal qui la contient sont intacts ; intact aussi le bouchon de papier de soie qui ferme le tube à une extrémité.
Intactes également les deux pièces de chancellerie portant proclamation des indulgences mais le sceau de cire rouge de la lettre épiscopale a fondu et s’est répandu sur le parchemin sans en altérer le texte.

c) La suspension de l’ostensoir.
53 témoins sur 54 interrogés ont vu de leurs yeux l’ostensoir suspendu sans appui.
Une particularité éveillait des doutes et nombre de témoins en prirent occasion pour regarder de plus près. L’ostensoir étant incliné on s’en souvient, de telle sorte que l’un des bras de la petite croix qui le surmontait semblait toucher un des barreaux de la grille.
Y avait-il adhérence ? 46 témoins ont affirmé qu’il n’y avait pas adhérence et voici pour quelles raisons :
1. Un examen attentif permet à 25 témoins de constater qu’une apparence seulement d’adhérence était due à la présence de quelques restes de linge brûlé retenus entre l’extrémité du croisillon et la grille.
2. La grille fut plusieurs fois ébranlée au point de chanceler sur ses bases disjointes, et cependant l’ostensoir ne subit aucun contrecoup de ces ébranlements et les cendres qui se trouvaient sur son pied ne tombèrent pas à terre.
3. Le croisillon très petit n’aurait pas eu assez de poids pour soutenir un ostensoir dont le poids dépassait 250 grammes. Enfin, si l’ostensoir avait été soutenu au point d’adhérence, il aurait eu une autre position. Sa position inclinée est contraire à toutes les lois de l’équilibre.
4. Une dernière hypothèse pouvait être faite : la grille était peut-être aimantée. Les délégués épiscopaux voulurent s’en assurer et les expériences qu’ils firent permirent de constater qu’il n’en était rien.

d) La cessation de la suspension.
Seize des témoins interrogés en eurent le spectacle. Ils affirment tous cette descente spontanée : l’ostensoir qui remue, se redresse : donc s’écarte de la grille et se « coule doucement » sur le corporal, placé au-dessous à une distance de 4 ou 5 doigts.

Voici des faits dûment constatés, après une enquête minutieuse conduite avec rigueur et immédiatement après les événements. Ce qui est à souligner c’est le caractère même de ces faits : il ne s’agit pas d’apparitions du Christ ou de gouttes de sang sur l’hostie, choses qui pourraient être attribuées à l’hallucination, mais de phénomènes très simples, matériels, et à la constatation desquels il suffit d’apporter de bons yeux et du bon sens : un ostensoir contenant deux hosties consacrées est préservé du feu et reste suspendu 33 heures dans l’espace, devant une foule où se succèdent des milliers de personnes.
Ce qui frappe aussi et impose la réflexion c’est le caractère vraiment spécifique de cette force mystérieuse qui soutient l’ostensoir.
Elle est immatérielle, indépendante de toutes les vibrations, des chocs violents même que les remous de la foule impriment à la grille l’ostensoir reste immobile.
Elle est libre et intelligente, cette force : elle choisit parmi les objets livrés à la violence du feu ; elle laissera le chandelier d’étain se fondre dans le brasier mais elle préservera l’ostensoir qui contient les hosties consacrées.
Elle choisit de menus objets dont la fragilité ou l’inflammabilité fait ressortir leur miraculeuse conservation : le cristal du reliquaire, la relique de Sainte Agathe, le papier de soie qui la protège, le parchemin du Bref pontifical.
Elle est dévote, cette force mystérieuse et organise toute une mise en scène pour la reposition de l’ostensoir : un cierge qui s’éteint trois fois, un son de clochette, et quand tous les yeux sont braqués sur l’hostie, cette descente lente et majestueuse du reliquaire sur le corporal « comme l’eût fait un homme d’Église ».
Peut-on alors ne pas adhérer aux conclusions de l’enquête épiscopale de 1608 déclarant que de tels faits ne peuvent s’expliquer « sans l’intervention de la très grande puissance et bonté de Dieu » et conclure avec l’Archevêque Ferdinand de Rye dans son mandement en date du 30 juillet 1608 à la réalité du miracle des Saintes Hosties conservées dans les flammes de Faverney ?
La portée apologétique du miracle
Pour bien comprendre la portée apologétique de ce miracle il faut se rappeler quels étaient les grands thèmes de controverse doctrinale dans notre pays, au moment où il s’est produit.
Nous l’avons dit, l’hérésie protestante s’infiltrait partout en Comté avec ses négations et ses affirmations erronées portant principalement sur le mystère central de la foi et du culte catholique : l’eucharistie.
Ce qui était attaqué, c’était essentiellement le réalisme des paroles du Christ à la Cène « Ceci est mon corps livré pour vous » et « Ceci est mon sang répandu pour vous en rémission des péchés» « Faites ceci en mémoire de moi » : paroles divines fondant un sacrifice mémorial et représentation de celui de la croix, établissant un sacerdoce et réalisant une présence du Christ dans l’hostie.
Or, le Protestantisme, à cette époque, s’en prend très particulièrement à la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. Il ne s’agit que d’un signe, d’un symbole de notre participation au corps mystique du Christ, de notre union à lui, par la Foi. Pour Luther le pain contient le corps du Christ tout au plus, à l’instant de la communion. Les tabernacles sont donc vides, et le culte devant le Saint Sacrement une idolâtrie ; la Messe n’est pas un sacrifice ; il n’y a pas de sacerdoce au sens où l’entend l’Église catholique et le ministère des prêtres est une usurpation de l’unique sacerdoce du Christ.
Or, le miracle eucharistique de Faverney s’inscrit en faux contre ces négations.
Le pain eucharistique n’est que du pain : comment alors expliquer que ces deux morceaux de pain enfermés dans l’ostensoir, s’ils n’avaient été que cela, aient échappé à un incendie destructeur de tout autour d’eux ?
Si, comme le veut Luther, le Christ n’est présent dans l’hostie qu’à l’instant de la communion, comment expliquer que le miracle se soit produit au cours d’une exposition du Saint Sacrement attestant la croyance en la permanence de la présence réelle.
Bien plus, qu’il ait ainsi prolongé pendant 33 heures cette exposition, provoquant une admiration de la foule, représentée par Luther comme une idolâtrie.
La Messe n’est pas le sacrifice du Christ : alors pourquoi est-ce au cours d’une Messe, à l’instant essentiel du sacrifice, l’instant de la consécration et de la double élévation que l’ostensoir descend de lui-même, miraculeusement, attestant la réalité vivante qu’il contient et la réalité opérée au même instant sur l’autel par les paroles de la consécration.
Le Protestantisme ne s’attaque pas seulement au dogme eucharistique : le culte des reliques des saints est également proscrit par lui.
Or l’ostensoir de 1608 était aussi un reliquaire de Sainte Agathe, et nous avons vu que le feu qui a respecté les hosties consacrées, a épargné de même le petit fragment d’os de la sainte et le fragile étui de cristal qui le contenait.
D’autre part nous savons que les indulgences accordées au peuple chrétien par les Souverains Pontifes furent un des prétextes de la révolte de Luther.
Or non seulement le Bref papal et la lettre épiscopale portant publication des indulgences sont épargnés par le feu, mais encore il n’est pas sans intérêt de noter que c’est à l’occasion d’un octroi solennel d’indulgences que Dieu manifeste sa Toute Puissance ne semble-t-il pas ratifier par là les grâces de rémission accordées par son vicaire sur la terre ?
Enfin, si nous nous souvenons, avec quel acharnement, dans le passé, les protestants s’attaquèrent aux Ordres religieux — et à la vocation religieuse. — si nous songeons aussi à leur position d’alors envers le culte de la Très Sainte Vierge… on ne peut qu’être fortement impressionné par une circonstance du miracle : il s’est produit dans l’église d’un monastère, chez des fils de Saint Benoît, dans une église qui depuis des siècles était un sanctuaire vénéré de la Vierge Marie, un lieu de pèlerinage où l’on venait prier celle que l’on nommait d’un beau titre évoquant son Immaculée Conception : « Notre Dame la Blanche. »
« N’est-ce pas, concluait en 1627, le Président Boyvin du parlement de Dole, une belle et docte leçon… »
Après le miracle
Pratiquement, il est à noter qu’après le miracle de 1608 la propagande protestante perdit de son assurance et se trouva bientôt stoppée en Franche-Comté. On était loin en effet de s’entendre entre Luthériens, Calvinistes, Zwingliens au sujet de la doctrine eucharistique et les temples du pays de Montbéliard retentissaient de bien des disputes théologiques. Or voici que l’événement de 1608 les touche au vif de leurs discordes. Certains parmi les bourgeois de Montbéliard galoperont vers Faverney aux premiers bruits du miracle ; le soir du lundi de la Pentecôte, les huguenots de Passavant s’enhardiront jusqu’à pénétrer dans l’église, parmi la foule, regarderont et se retireront ne sachant que penser.
Y eut-il parmi les Protestants des conversions ? Peu. Une pourtant est à noter car elle fut retentissante, celle de Frédéric Vuillard, orfèvre à Montbéliard et huguenot convaincu. Le 26 mai, il se trouve à Vesoul en voyage d’affaires ; il entend parler du miracle et cède, comme beaucoup d’autres à la curiosité. À Faverney, toutes les constatations que nous avons faites avec les enquêteurs, il les fait pour son propre compte dans des conditions dramatiques : lutte tragique entre sa foi protestante et le témoignage de ses yeux et de son bon sens. Plus de 30 fois, a-t-il écrit, il entre dans l’église, regarde puis ressort, se refusant à croire ce que sa religion lui défend. À la fin, la grâce et l’évidence l’emportent sur sa position protestante, il tombe à genoux et adore. Il se fera instruire, abjurera l’hérésie et après bien des luttes aura la joie de convertir toute sa famille. J’ai cité ce cas de Frédéric Vuillard car il est typique de l’état d’esprit de beaucoup de protestants au lendemain du miracle.
Il reste pour conclure à dire un mot de l’influence positive de l’événement sur la population catholique.
L’enthousiasme populaire ne se refroidit pas. On le vit bien en décembre 1608 lors du transfert solennel d’une des deux hosties à Dole, capitale de la Comté : ce furent des foules immenses qui de village en village firent escorte à la sainte relique.
Pendant tout le 17ème et le 18ème siècle, le pèlerinage eucharistique de Faverney ne fit que progresser et trouver même un nouvel essor à la suite d’un éclatant miracle de la Sainte Hostie qui préserva la cité d’un grand incendie.
Vint la Révolution et les profanations sacrilèges de 1793. Les vases sacrés sont livrés à la monnaie, l’hostie sertie de sa lunule, est portée à l’hôtel de ville, passe de mains en mains et n’est sauvée que par l’intervention d’un municipal qui la garde chez lui dans une boîte cachetée. Le 14 juin 1795, la relique sera sortie de sa cachette en présence du vicaire constitutionnel et des notables qui en feront la reconnaissance par procès-verbal authentiqué de 72 signatures.
Dès lors, le culte de l’hostie miraculeuse n’a plus cessé, marqué par des dates mémorables, notamment en 1864, la concession par la Congrégation des rites, de la fête et de l’office des Saintes Hosties préservées des flammes ; et en 1908, le congrès eucharistique national.