commentaire de Dom Delatte
Cette parabole de l’enfant prodigue vient après les paraboles de la brebis et de la drachme perdues. Rien ne nous assure que ces trois paraboles aient été prononcées ensemble : c’est peut-être leur analogie qui a déterminé l’écrivain sacré à les réunir dans son récit. Après s’être défendu et justifié dans les deux premières, le Seigneur, dans celle-ci, propose un enseignement nouveau et typique. Les précédentes nous parlaient seulement de la grâce et de l’amour de Dieu, mais ni la brebis perdue, ni la drachme retrouvée ne donnaient place au repentir. La troisième parabole, sans laisser aucunement dans l’ombre la tendresse divine, nous montre la contrition et l’humilité qui doivent être au cœur du pécheur. C’est l’évangile de l’évangile, a-t-on dit. Le fils prodigue, ce sont les publicains, les pécheurs, les gentils, tous ceux, en un mot, que méprise comme souillés l’orgueil de la Synagogue ; l’aîné, ce sont les pharisiens et les Juifs. La parabole de l’enfant prodigue appartient en propre à saint Luc, le disciple de saint Paul, l’évangéliste de la gentilité ; on peut la rapprocher de la doctrine si formelle de l’Apôtre sur l’amour universel et enveloppant du Seigneur (Romains, Galates, Éphésiens) : l’Incarnation et la Rédemption ont effacé toutes distinctions, et recueilli la famille humaine entière en Notre-Seigneur Jésus-Christ. — Le péché, le repentir, le retour : tels sont les trois actes du petit drame.
Un homme avait deux fils. Le plus jeune, — le plus accessible à la passion et à l’erreur, — vient réclamer sa part d’héritage : « Père, donnez-moi la part de bien qui me revient. » C’est, d’après le Deutéronome (21, 17), le tiers de la fortune paternelle : les deux autres tiers revenaient à l’aîné. Parfois le partage se faisait du vivant du père. Les enfants devaient pourvoir alors à la subsistance de leurs parents ; mais le partage une fois accompli était irrévocable. C’est contre les chances impliquées dans cette mesure que l’Ecclésiastique mettait en garde un père trop confiant (33, 19-22). La demande du jeune fils témoigne d’un désir immédiat et immodéré de liberté. Le père s’y soumet, cependant : il attribue à chacun ce qui lui revient ; l’aîné demeurera à la maison et laissera ses parents en tranquille jouissance de la portion qui lui est échue.
Le partage achevé, les indices d’ingratitude se multiplient. Quelques jours seulement après être entré en possession, ayant réalisé tout son avoir, afin de n’être jamais contraint de revenir en arrière, le jeune homme s’en va dans un pays lointain, le plus loin possible, semble-t-il. Jusqu’ici, ce ne sont que les préparatifs de la faute, mais la faute vient bientôt : toute cette richesse, qui était le travail accumulé par son père et l’épargne de sa vie, il la dissipe en débauche. Alors une grande famine survient dans la région ; et, à l’heure où ses biens lui eussent été le plus nécessaires, il commence à manquer de tout. La misère l’oblige à se mettre au service d’un des habitants du pays. Lui qui avait été libre, indépendant, associé à l’œuvre de son père, il s’attache à un étranger, à un païen. Encore, cet homme ne le garde-t-il pas auprès de lui : il l’envoie dans ses terres, ne lui assure même aucun salaire, et témoigne de son dédain en lui assignant la besogne qui devait le plus répugner à un Juif : il sera désormais le pourvoyeur d’animaux immondes, leur serviteur ! À peine a-t-il de quoi manger. Il en vient à souhaiter la nourriture des pourceaux et à désirer pour lui-même la pulpe fade et lourde dont ils se gorgent : mais nul ne songe à lui en offrir.
Voici le second acte : le repentir. La parabole nous montrera que l’homme doit s’employer lui-même à son retour vers Dieu. Le prodigue revient à lui, comme d’une longue extase impure. Il se rappelle sa maison d’autrefois, où la vie était si digne, où les serviteurs eux-mêmes ne manquaient de rien : « Combien de mercenaires, se dit-il, chez mon père, ont du pain en abondance : et je suis ici, moi, à mourir de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père… » Tout est gagné : il dit : « Mon père. » C’est la parole sans cesse répétée au cours de ces versets, — la première, la plus douce que le Seigneur nous ait apprise. Dans le cœur du prodigue, cela a survécu à tout. Il faut que Dieu ait gravé bien profondément au cœur de l’homme ce sentiment de sa paternité, pour que nulle dégradation ne l’efface. « Du sein de ma misère et de mon abjection, l’être souillé et méconnaissable que je suis, je me lèverai et j’irai vers mon père. Il y a loin : n’importe ; c’est bien le moins que je fournisse à nouveau, pour le revoir, tout le chemin indignement parcouru pour m’éloigner de lui. Je lui dirai : Père ! j’ai péché contre le ciel et contre vous. Je ne suis plus digne d’être appelé votre fils. Prenez-moi cependant, au titre de l’un quelconque de vos serviteurs. Du moins, je serai avec vous… » Il ne songe pas à chercher une excuse ; c’est un repentir tout trempé de charité.
Le prodigue ne se borne pas à la résolution : il l’exécute sur-le-champ. Il ne semble même pas supposer que son père puisse l’avoir oublié ni lui tenir rigueur. Et il ne s’est point trompé. Son père l’aperçoit, alors qu’il était loin encore. Il le reconnaît sous ses haillons sordides ; et ses entrailles sont émues de compassion. Il court, malgré son âge ; et, le premier, tombe à son cou, le prend dans ses bras, l’embrasse tendrement. Le fils avait préparé ce qu’il devait dire. « Père, j’ai péché à la face du ciel et devant vous. Je ne suis plus digne d’être appelé votre fils. » Le temps lui manque pour prononcer le reste : « Faites de moi l’un de vos mercenaires » ; car le père l’interrompt : « Vite ! dit-il aux serviteurs, apportez une robe, la plus belle, la meilleure que vous ayez, non pas simplement celle d’autrefois, et l’en revêtez. Mettez un anneau à son doigt, l’anneau qui est le sceau des personnes de qualité, des fils de famille, le signe d’une nouvelle union ; et donnez des chaussures à ses pieds, afin qu’il ne ressemble plus aux esclaves. Allez chercher le veau gras, celui qu’on nourrissait pour une fête : tuez-le, et mangeons-le dans un joyeux banquet. Car mon fils que voici était mort, et il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé ! » Et bientôt, le festin commence.
Cependant, le fils aîné était aux champs. Et à son retour, tandis qu’il approchait de la maison, il entendit de la musique et des chœurs de danse ; il appela un des serviteurs, et lui demanda ce qui se passait. « C’est que votre frère est de retour, lui fut-il répondu, et parce que votre père l’a retrouvé sain et sauf, il a tué le veau gras. » L’aîné fut outré de colère, et refusa d’entrer. Son père vint à lui, insista pour qu’il prît part à la fête. Mais il répondit : « Voilà de longues années que je vous sers : jamais je n’ai violé vos ordres ; et à moi jamais vous n’avez donné le moindre chevreau, pour le manger avec mes amis ! Mais quand votre fils, ce débauché qui a dévoré son bien avec des courtisanes, est arrivé, c’est pour lui que vous avez tué le veau gras ! » Voilà bien l’insolence, la morgue, l’âpre jalousie des pharisiens. Le père ne dédaigne pas, cependant, de répondre à cette discourtoisie, et de façon si aimable, si affectueuse : « Mon enfant, vous êtes toujours avec moi, vous, et tout ce qui est mien est vôtre. Notre intimité et notre bonheur sont de tous les jours et ne font pas événement dans notre vie. Mais il fallait bien faire fête et se réjouir, parce que votre frère était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. »
Prières
Oraison
Nous vous en prions, Seigneur, donnez à nos jeûnes un effet salutaire, afin qu’ayant entrepris de châtier notre chair, cette mortification corporelle serve à développer la vigueur de nos âmes.
Oratio
Da, quæsumus, Dómine, nostris efféctum ieiúniis salutárem : ut castigátio carnis assúmpta, ad nostrárum vegetatiónem tránseat animárum. Per Dóminum.
Oraison
Nous vous en supplions, Seigneur, gardez votre famille avec une constante bonté afin que celle qui s’appuie sur l’unique espérance de votre grâce céleste, soit toujours munie de votre protection.
Oratio
Famíliam tuam, quæsumus, Dómine, contínua pietáte custódi : ut, quæ in sola spe grátiæ cæléstis innítitur, cælésti étiam protectióne muniátur. Per Dóminum.
Prière de Saint Bernard de Clairvaux (1090-1153)
Je vous conjure par votre miséricorde infinie, par l’amour de la glorieuse Vierge Marie votre Mère, et par l’intercession de tous vos Saints, de me pardonner tous mes péchés, toutes mes négligences, et toutes mes ignorances. Ne me perdez pas avec mes iniquités, Seigneur, et ne réservez pas à la fin de ma vie de me punir dans votre colère de tous les maux que j’ai faits. Souvenez-vous, divin Jésus, que non seulement vous ne voulez rien perdre de tout ce que votre Père vous a donné, mais que vous aimez surtout à faire miséricorde, et à pardonner, qu’au lieu de perdre les hommes, vous êtes toujours porté à les sauver. Car votre Père vous a envoyé en ce monde non pour juger le monde, mais afin que nous ayons la vie par vous, et que vous soyez pour nous, et non contre nous. Vous qui avez payé pour nous ce que nous devions, qui avez souffert pour les péchés que nous avions commis, et qui avez suppléé à toutes nos négligences. Vos yeux ont vu ce qu’il y avait d’imparfait en moi, mais vous mon Dieu, dont la miséricorde passe notre malice, ne me l’imputez pas pour m’en punir un jour, vous qui avez disposé si sagement, si parfaitement, si miséricordieusement toutes choses pour les conduire à leur dernière perfection, ne m’effacez pas du livre de vie. Donnez-moi la part que vous m’avez destinée pour suppléer aux souffrances de votre Passion, par laquelle vous avez voulu que l’homme fût votre cohéritier dans la terre des vivants. Que la vue de la fragilité de notre nature vous touche, et vous excite à avoir pitié de moi. Vous savez ce que c’est que l’homme, et que vous ne l’avez pas mis en vain sur la terre. Conservez-moi donc, puisque je suis l’ouvrage de votre bonté. Que tout ce que vous avez fait et enduré pour moi ne soit point inutile, et que votre sang précieux n’ait pas été répandu en vain pour moi. Vous, mon Dieu, qui nous purifiez de nos péchés, faites qu’étant lavé de toutes mes souillures, et qu’ayant l’esprit éclairé de votre lumière, je vous connaisse, et qu’en vous connaissant dans la droiture de mon cœur je tende et je soupire sans cesse vers vous ; afin que par une heureuse mort je mérite enfin de parvenir jusqu’à vous, et de jouir de votre gloire, vous qui avec le Père et le Saint Esprit, vivez et régnez dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Antienne