Ce qui est humble, Dieu le regarde ; ce qui est élevé, Dieu ne le connaît que de loin (Ps 137, 6). Les orgueilleux, Dieu les voit de loin, et ils lui sont d’autant moins proches qu’ils se jugent plus élevés.
Saint Augustin

Jésus et la samaritaine (Io 4, 5-42) :
commentaire de Dom Delatte

Pour se rendre de Judée en Galilée, le Seigneur n’avait pas de chemin plus court que de traverser la Samarie. Un Juif ne s’aventurait sur cette route que pour gagner du temps et par nécessité : ordinairement, on faisait un détour par la Pérée. Or, le Seigneur arriva près d’une ville de Samarie appelée Sichar. Malgré l’autorité d’anciens auteurs qui, comme Eusèbe, ont distingué Sichem et Sichar, il s’agit probablement de la même ville, Sichem est le nom antique, devenu dans la suite Sichar, « la ville de l’ivresse » (Is 28, 1 sq.). Elle était située dans l’étroite vallée qui sépare l’Ébal et le Garizim. Restaurée par Vespasien, elle prit le nom de Flavia Neapolis, Naplouse ; Sichar, écrit saint Jean, se trouvait près du champ que Jacob donna à son fils Joseph (Gn 48, 22). Il y avait là un puits, dit de Jacob, creusé par lui, croyait-on dans le pays. Les chapitres 21 et 26 de la Genèse nous ont appris quelle importance avaient les puits pour des tribus nomades, et aussi avec quelle violence on se les disputait parfois.

Il semble que le Seigneur, pour arriver en Galilée, ait pressé la marche ; quoi qu’il en soit, il était fatigué, et il s’assit tout simplement auprès du puits, sur la margelle. C’était environ la sixième heure, notre heure de midi. Vient une Samaritaine pour puiser de l’eau ; des traditions l’appellent Photine. Et Jésus lui dit : « Donnez-moi à boire ». Comme auprès de Nicodème, le Seigneur a recours à l’apostolat de la bonté. Il n’ignore pas l’hostilité qui règne entre Juifs et Samaritains. Le temple élevé sur le mont Garizim était schismatique, il était rival du temple de Jérusalem, et les Samaritains faisaient peu d’accueil aux Galiléens qui se rendaient à la ville sainte (Lv 9, 51-56), et aux Juifs qui remontaient vers le nord. Or, la Samaritaine avait aussitôt reconnu un Juif. Les positions étaient ainsi dessinées, alors même qu’aucun mot n’avait été prononcé encore. Avec une habileté divine, le Seigneur parle le premier, et il demande un service. Il est seul, il est fatigué ; afin de permettre la confession de la Samaritaine, et de peur qu’elle n’ait à rougir devant d’autres que lui, il a envoyé ses disciples à Sichar acheter des vivres. Sans doute, les anges auraient pu s’empresser, comme au lendemain de la tentation, de lui donner assistance : mais ils ne sont pas mandés ; le Seigneur veut tenir son secours de cette créature qui survient, qui ne sait rien de lui, qui ne pressent aucunement où Dieu la mène. Le Seigneur s’en remet à elle ; il sollicite d’elle un acte facile, de simple humanité.

Cette diplomatie miséricordieuse n’a pas l’air de réussir dès la première heure. La Samaritaine est sur ses gardes. Elle ne témoigne que surprise, surprise mêlée d’ironie, peut-être : « Comment vous, un Juif, me demandez-vous à boire, à moi qui suis une femme de Samarie ? » Car il n’y a pas de rapports, dit saint Jean, entre Juifs et Samaritains. La réponse n’était pas aimable ; mais enfin, la glace se trouvait rompue. Supposez qu’à cet instant, vraiment décisif, le Seigneur eût répliqué avec un peu de hauteur et de vivacité : la Samaritaine s’en serait allée, irritée et maugréant, et c’eût été fini. Mais l’âme du Seigneur est douce, et bonne, et indulgente. Il feignit de n’avoir pas compris ce qu’il y avait de désobligeant dans la réponse et poursuivit : « Si vous connaissiez le don de Dieu, et quel est celui qui vous dit : Donnez-moi à boire, c’est vous-même qui l’auriez prié, et il vous aurait donné de l’eau vive ». Nous aurons l’occasion de le remarquer souvent le Seigneur recourt volontiers au procédé socratique : il dit des choses qui semblent étranges, pour mettre en mouvement notre esprit de recherche ; son dessein est de faire sortir les intelligences du cercle étroit de leurs expériences immédiates. Ici, c’est sa démarche même qui est extraordinaire, afin de provoquer la surprise de Photine. La conduite paradoxale qui le fait, lui Juif, s’adresser à une femme Samaritaine, a excité en effet la curiosité de cette dernière ; elle a fait la réponse étonnée que nous avons lue. Votre surprise, lui répond le Seigneur, vient de ce que vous ignorez. Vous ne savez pas le don de Dieu. Vous ne savez pas que toutes ces rivalités sont effacées aujourd’hui. Si vous saviez ce que Dieu a donné au monde (Io 3, 16) ; si vous saviez le nom de celui qui s’est incliné devant vous pour vous demander un peu d’eau à boire, vous eussiez sans doute parlé la première et demandé vous-même de l’eau vive — non seulement de l’eau qui coule, à la différence de celle que les terres laissent filtrer et qu’on recueille, mais de l’eau qui jaillit.

Cet enseignement dépassait de beaucoup la pensée de la Samaritaine ; et tout occupée de l’eau qu’elle vient chercher, de l’urne qu’elle va remplir ; ne voyant que le symbole, n’apercevant pas dans cette parabole la réalité symbolisée, elle répond au hasard : Comment ! de l’eau vive ! mais il faudrait aller jusqu’à la source même. Le puits est profond ; et vous n’avez rien pour puiser. — Pourtant, elle donne à Jésus le nom de Seigneur, ce qui est déjà de la courtoisie et du respect. Un premier pressentiment s’élève en elle : Est-ce donc que vous avez une eau meilleure que celle-ci ? Seriez-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits, à nous, Samaritains ; qui a bu de cette eau, avec ses fils, avec ses troupeaux ? S’il avait existé une eau meilleure que celle-ci, une source à fleur de terre, croyez-vous que notre père Jacob ne l’eût pas trouvée ? — On sent avec quelle jalousie les gens de Samarie gardaient, pour les opposer aux Juifs, les traditions qui les rattachaient aux patriarches. Même alors que le ton est partiellement changé, Photine demeure en garde et se défie toujours.

Le Seigneur aurait pu répondre par l’affirmative à la question directe : « Êtes-vous plus grand que notre père Jacob ? » Mais il eût indisposé la Samaritaine en affirmant, comme il le fera ailleurs, qu’il y a ici plus que Jacob, plus que Jonas, plus que Salomon (Mt 12, 41-42). La vraie question, d’ailleurs, eût été ainsi déplacée par une diversion fâcheuse : car pour le Seigneur aussi bien que pour la Samaritaine, il s’agit de l’eau, mais pas de la même. Quels sont donc les avantages de l’eau offerte par Jésus, avantages tels qu’elle eût dû, la première, chercher à s’en procurer ? Peut-être, cette fois, Photine sortira-t-elle de ses mesquines préoccupations de ménage, lorsque la comparaison établie aura montré les qualités des deux eaux. « Celui qui boit de l’eau de ce puits aura soif encore ; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus soif, éternellement. Car l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissante, en vie éternelle ». L’eau de Jacob désaltère le corps, et pour un instant, et la source en demeure extérieure ; l’eau que propose le Seigneur est bien différente ; qui en boit n’aura plus soif, il portera sa source en lui, source d’eau vive, jaillissant à flots, source qui ne tarira pas. Boire, c’est croire ; l’eau, c’est la vie surnaturelle et tous les dons créés et incréés qu’elle implique. Par sa nature, et dans sa plénitude, elle élimine de notre âme toute soif, tout désir, tout besoin. Elle suffit.

Mais Photine demeure obstinément fidèle à son point de vue étroit. C’est justement mon affaire, dit-elle ; voilà bien l’eau dont je voudrais, cette eau vive, moyennant laquelle on n’aurait plus soif et on ne serait plus obligé de venir de la ville jusqu’ici pour faire sa provision. — Et voici qu’elle demande enfin, qu’elle formule un désir : « Seigneur, donnez-moi cette eau ». Il va de soi que pendant qu’il parle, le Seigneur, par une opération intérieure très douce, fait descendre la lumière dans l’âme de la Samaritaine, et crée en elle les dispositions de docilité, d’humilité, de confiance, qui, seules, assurent le succès. Mais s’il y a au cœur de la Samaritaine un désir commençant de la vie surnaturelle, il y a aussi des renoncements et des éliminations à consentir. La chose est délicate ; le Seigneur prend encore un ingénieux détour : Allez d’abord, lui dit-il ; le bien de Dieu est abondant, l’eau vive coule pour tout le monde : allez dire à votre mari de venir avec vous. — Photine répond : « Je n’ai pas de mari ». C’est sa confession exacte et loyale, mais réticente. Et le Seigneur, en partie peut-être pour la tirer d’embarras et lui épargner des précisions pénibles, lui révèle sa vraie situation. « Vous avez eu raison de dire : Je n’ai pas de mari ; car vous avez eu cinq maris, et celui que vous avez maintenant n’est pas votre époux ; c’est vrai, ce que vous avez dit ».

« Seigneur, reprend la femme, je vois que vous êtes un prophète ! » Elle confesse implicitement la vérité de ce qu’a avancé le Seigneur, explicitement la connaissance surnaturelle et la dignité de celui qui lui parle. Puis, un instant de silence. Nous allons voir que la Samaritaine, quels que fussent d’ailleurs ses torts, avait une conscience vraiment religieuse. Sitôt qu’elle a reconnu, dans la personne de Jésus, un envoyé de Dieu extraordinaire, elle lui demande la solution de ses doutes. Ce n’est pas une diversion pour échapper au Seigneur et esquiver un reproche ; ce n’est pas davantage qu’elle ait oublié l’eau vive dont lui a parlé le prophète ; mais, avec un sens très exact de ce en quoi consiste la vie surnaturelle, un rapport normal avec Dieu et la prestation du culte qui lui est dû ; dans sa loyauté qui veut s’éclairer, elle expose le problème auquel elle a souvent pensé. On était en face du mont Garizim, où, vers 430 avant Jésus-Christ, avait été élevé le sanctuaire national. « Nos pères, dit la Samaritaine, c’est sur cette montagne qu’ils ont adoré, et vous dites, vous autres, que c’est à Jérusalem qu’est le lieu où il faut adorer ». Lorsque Photine dit : nos pères, elle ne veut pas parler seulement de la population samaritaine, confuse et mêlée, telle qu’elle s’était reconstituée après la destruction du royaume d’Israël (4 Rg 17) ; elle fait allusion à des ancêtres communs, à la souche même de la race juive ; car les Samaritains se réclamaient, en faveur de leur culte, de certains textes du Pentateuque, interprétés et quelquefois remaniés arbitrairement (Gn 33, 20 ; Dt 27, 1-8 ; Ios 24, 1). Garizim, d’après eux, était un lieu saint ; son sanctuaire jouissait d’une longue possession. Il ne peut y avoir, ripostaient les Juifs, qu’un seul temple du Dieu unique (Dt 12, 4 sq.), et Dieu a choisi Jérusalem.

Pour répondre au cas de conscience de la Samaritaine, la parole du Seigneur prend un singulier accent de solennité. Tout à l’heure, l’eau du puits de Jacob lui a fourni l’occasion d’élever les âmes jusqu’à la source divine qui jaillit en elles : maintenant, par un procédé identique, il les élève, d’un culte matériel, étroit et souvent grossier, à la conception spirituelle et définitive d’un culte aimé de Dieu. « Croyez-moi, femme, dit Jésus : l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem, que vous adorerez le Père ». C’est chose presque oiseuse de dirimer la controverse entre Juifs et Samaritains, entre le mont Sion et le mont Garizim ; désormais ces divisions n’existeront plus : le culte de Dieu ne sera plus limité à un lieu. Pourtant, dans une parenthèse rapide, le Seigneur règle à l’avantage des Juifs le problème particulier proposé par Photine : « Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, parce que le salut vient des Juifs ». La religion des Samaritains, en dehors même des éléments idolâtriques accueillis par elle, limitée aux seuls livres de la Loi, pratiquée d’ailleurs par une population additionnée d’une forte portion païenne, était devenue une sorte de déisme chétif. Dans une lettre adressée à Antiochus Épiphane, les Samaritains n’avaient même pas hésité, afin de s’assurer un avantage sur Jérusalem, à solliciter que le temple du mont Garizim portât le nom de Jupiter Hellénique. Ils adoraient Dieu, sans doute, mais un Dieu qu’ils ne connaissaient pas. Les Juifs, plus fidèles, maintenus par un pouvoir religieux régulier, avaient conservé tout le Mosaïsme et les espérances messianiques ; ils étaient les vrais dépositaires des promesses, et c’était d’eux, c’était de Juda, que devait venir le salut (Is 2, 2-3). Leur situation était donc privilégiée, jusqu’à l’heure où la Jérusalem spirituelle n’aurait d’autres limites que les confins de la terre.

Le Seigneur reprend (23-24) l’enseignement amorcé déjà (21). La formule, cette fois, n’est plus négative : c’est l’exposé positif et formel de la grande révolution religieuse. « Mais l’heure vient, et elle est venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car le Père réclame de tels adorateurs. Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent adorer ». Nous apprenons ici, avec l’heureuse Samaritaine, tout ce qu’il suffit à l’homme de savoir : ce que c’est qu’adorer, adorer en esprit et en vérité, adorer le Père, adorer le Père en Esprit et en Vérité. Adorer, c’est s’incliner, c’est servir : dans ce terme compréhensif, l’Écriture, après l’ancienne Alliance, résume tout l’ensemble de nos rapports avec Dieu, elle enveloppe à nouveau et le culte religieux, et la fidélité morale. Adorer en esprit, c’est adorer avec l’âme, avec le dedans comme avec notre corps, en un mot avec l’être tout entier. Car il y aurait méprise à écarter le culte extérieur, que le Seigneur aime, alors même qu’il ne l’aime que vivifié par l’esprit. Conclure, de ce que Dieu cherche un culte spirituel et sincère, qu’il n’y a plus de place pour les attitudes extérieures de la religion, c’est se heurter à l’exemple du Seigneur lui-même, qui nous a laissé des prières orales et de qui il est dit dans saint Luc : « Ayant fléchi les genoux, il priait » (22, 41) ; c’est démentir Malachie, annonçant le sacrifice de l’Alliance nouvelle, le culte de l’Eucharistie (1, 11). Et, sans doute, adorer Dieu en vérité, c’est l’adorer non seulement par notre être, mais aussi par chacune des œuvres de notre vie, de manière à n’y laisser aucune déloyauté, aucune contradiction avec notre foi et notre prière. Mais à qui rendrons-nous ce culte vraiment complet ? À Dieu ?

On nous dit : au Père ; et trois fois, avec une insistance voulue, est répété ce nom de Père. Non que ce ne soit le même qui est réellement Dieu, et Père ; mais la Paternité de Dieu ne devait être mise en pleine lumière que par le christianisme. Sans doute on la connaissait déjà dans l’Ancien Testament ; mais cette Paternité divine visait Israël, le peuple tout entier, rarement des particuliers. Et surtout, ce n’était pas, de façon distincte, une Paternité prenant sa source, son titre et son motif dans la vie même de Dieu, dans le mystère de la Très Sainte Trinité. Il était réservé au christianisme de faire de nous des enfants de Dieu, de donner à chacun de nous un titre à parler à Dieu comme fils. Sans omettre d’adorer chez Dieu l’être suprême, la cause infinie, le créateur et la Providence, nous lui dirons désormais, divina institutione formati : notre Père, mon Père. Et pour que l’homme osât prendre devant Dieu une attitude si nouvelle, il a fallu que Dieu lui-même donnât le signal, fît les premières démarches. Si Dieu se montre et se révèle comme Père, s’il donne pour moi son Fils unique, si je suis incorporé au Fils par la foi et le baptême, alors l’adoration me sera possible et facile. Et si Dieu me donne son Esprit, qui est aussi l’Esprit du Fils, je serai de taille à traiter intérieurement avec Dieu comme avec mon Père : « Parce que vous êtes fils, écrira l’Apôtre, Dieu a mis dans nos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie : Abba, Père ! » (Gal 4, 6). J’adorerai en Esprit, parce que l’Esprit-Saint me rendra témoignage que je suis enfant de Dieu, et parce que lui-même prie en mon âme, avec des gémissements ineffables (Rm 8). Et j’adorerai en Vérité, parce que, dorénavant, je ne suis plus en face des figures et des ombres, des prophètes et des promesses, mais bien en face du Fils de Dieu et en contact assidu avec des réalités, voilées sans doute, mais présentes et intimes. Adorer le Père en Esprit et en Vérité est donc, en définitive, appartenir au Fils et à l’Esprit, et se laisser guider par les deux Personnes divines jusque chez le Père : « Par le Fils, dira encore l’Apôtre, nous avons tous, Juifs et gentils, dans un même Esprit, accès chez le Père » (Eph 2, 18).

Tels sont les adorateurs que Dieu réclame. Dieu ayant fait de son côté tout ce qui est requis pour s’assurer des adorateurs en esprit et en vérité, il ne les aura pas cherchés en vain. Il est doux pour nous de savoir que Dieu désire quelque chose ; ce quelque chose est doux en lui-même ; il est doux de le lui donner. — Spiritus est Deus… Le Seigneur veut montrer que les exigences de Dieu tiennent à son caractère même, à l’affinité profonde qui doit régner entre Dieu et celui qui l’adore. Dieu est esprit : seul, un culte en esprit peut lui agréer. Sacrifices, oraisons, jeûnes, rien ne lui sourit si l’âme ne se donne. C’est nous que Dieu veut. Et ces paroles rappellent enfin que Dieu est affranchi de toutes conditions d’espace, nullement confiné à Jérusalem ou à Garizim ; il est partout ; et il est adoré dans son temple, là où il y a un chrétien qui prie son Père en secret (Mt 6, 6).

La plénitude de doctrine qui était proposée à Photine la conduisit-elle à se demander si le Messie ne serait pas présent ? Ou bien cette doctrine si haute lui semblait-elle exiger des explications et des développements réservés sans doute au Messie ? Du moins ne saurait-on méconnaître les tendances religieuses qui sollicitaient son cœur et son amour de la vérité. Encore que mélangée de bien des erreurs, l’attente messianique existait chez les Samaritains. « Je sais, dit Photine, — et intérieurement le Seigneur aidait cette foi, — je sais que le Messie vient, celui qu’on appelle le Christ ; lorsque celui-là sera venu, il nous annoncera toutes choses ». D’avance, elle est gagnée à lui ; sa docilité est parfaite. Et Jésus lui dit : « Le Christ, c’est moi qui vous parle ». En Judée, nous a dit le chapitre précédent, le Seigneur ne se livrait pas, parce qu’il connaissait l’âme de chacun : ici, il se révèle tout entier. Jamais il n’a été ni plus précis, ni plus confiant.

Lorsque les disciples ont laissé Jésus auprès du puits de Jacob, quelque temps auparavant, il était fatigué, il avait faim et soif : maintenant qu’ils sont revenus avec des vivres, ils le trouvent dispos, n’ayant plus besoin de rien. « Maître, disent-ils, mangez ». — « Je me nourris, leur répond le Seigneur, d’un aliment que vous ne connaissez pas. « Déconcertés par cette déclaration inattendue, ils se disaient entre eux : « Est-ce que quelqu’un lui aurait apporté à manger ? » Mais Jésus poursuit sa pensée : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de porter son œuvre à la perfection ». Il est vraiment le Verbe du Père et se rapporte tout entier à lui et à son œuvre. Cette œuvre est le salut de la grande famille humaine. Elle commence à s’accomplir ; la vocation de Samarie, c’est déjà le prélude de la vocation des gentils, et une telle perspective ravit l’âme du Sauveur ; la nourriture matérielle est oubliée.

Prières

Oraison

Nous vous supplions, Seigneur, d’accorder dans votre bonté, un résultat favorable à nos jeûnes, afin que, comme nos corps pratiquent l’abstinence par rapport aux aliments, ainsi nos âmes s’abstiennent du péché.

Oratio

Ieiúnia nostra, quæsumus, Dómine, benígno favóre proséquere : ut, sicut ab aliméntis abstinémus in córpore ; ita a vítiis ieiunémus in mente. Per Dóminum.

Oraison

Nous vous en supplions, Dieu tout-puissant, accordez-nous à nous qui nous confions en votre protection, de vaincre grâce à votre assistance tout ce qui s’oppose à notre bien.

Oratio

Præsta, quæsumus, omnípotens Deus : ut, qui in tua protectióne confídimus, cuncta nobis adversántia, te adiuvánte, vincámus. Per Dóminum nostrum.

Prière de Ludolphe le Chartreux (vers 1300-1378)

Ô doux Jésus, modèle de la véritable patience et type de l’humilité parfaite, éloignez de moi toutes les pompes de l’orgueil et toutes les convoitises de la vaine gloire, ainsi que toutes les sources de si grands périls et de si grands maux. Qu’étant votre serviteur, je ne possède et je ne montre aucun signe d’une telle peste et d’une semblable perdition, ni dans mes mœurs, ni dans mes discours, ni dans mes actions, ni dans mes pensées qui vous sont toutes présentes. Établissez-moi dans une solide et profonde humilité, afin que je ne donne aucune ouverture aux embûches de mes ennemis ; et faites que je sois si petit à mes propres yeux que je trouve grâce entière aux yeux de votre majesté. Ainsi-soit-il.

Antienne

Ã. Aqua quam ego dédero, si quis bíberit ex ea, non sítiet umquam.

Ã. Celui qui boit de cette eau, que je donnerai, il n’aura plus jamais soif.

Antienne grégorienne “Aqua quam ego dedero”

par R. P. Joseph-Marie Mercier

Antienne Aqua quam