commentaire de Dom de Monléon
Commentaire littéral
Ninive, où Jonas avait ordre de se rendre, était une grande ville de trois jours de marche, c’est-à-dire qu’il fallait trois jours pour en faire le tour à pied. D’après l’Écriture, c’était l’une des plus anciennes cités du globe, et elle avait été fondée par un certain Assur, fondateur de la puissance assyrienne, et plus connu des auteurs de l’antiquité sous le nom de Ninus (Gn 10, 11).
Jonas, étant entré dans la ville, la parcourut en tous sens pendant une journée entière, clamant et répétant inlassablement la phrase que Dieu lui avait dite : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! »
Comment serait-elle détruite ?… Il ne précisait pas, il n’en savait rien lui-même. Mais il y avait dans le ton de sa voix une conviction tellement ferme, une autorité si absolue, que tous ceux qui l’entendaient en furent bouleversés. Brusquement, une émotion indicible s’empara de la ville entière, un véritable ouragan de repentir se déchaîna dans ses murs. Les habitants comprirent que l’homme qu’ils avaient devant eux n’était ni un fou, ni un énergumène, ni un illuminé. C’était manifestement un serviteur de Dieu, et ce qu’il annonçait était très grave : une catastrophe terrible allait certainement s’abattre sur la cité, juste rétribution des désordres et des turpitudes qui la déshonoraient depuis des années. Alors, dans un bel élan, ils crurent en Dieu, dit l’Écriture (in Deum). Remarquons cette expression : l’auteur sacré ne dit pas qu’ils crurent à Dieu, c’est-à-dire à la vérité de ce que Dieu leur faisait annoncer par son Prophète. Ils crurent en Dieu. « Croire en Dieu, explique Saint Thomas, est plus efficace et signifie davantage que croire à Dieu ; c’est mettre en Lui non seulement sa foi, mais son espérance, et toute sa confiance, accompagnée d’amour ; c’est se livrer, avec tout ce que l’on possède, à sa Providence, tout lui abandonner, et s’en remettre à Lui seul du soin de son salut ».
Les Ninivites, en croyant à la prédication de Jonas, crurent par le fait, d’abord, à Dieu, c’est-à-dire à sa toute-puissance et à la vérité de la menace qu’il leur adressait. Mais, en même temps, ils crurent en Dieu : avec cette intuition que donne la présence d’un danger imminent, ils pressentirent que le délai de 40 jours qui leur était départi, laissait place à la miséricorde. Si Dieu avait été décidé à les perdre inexorablement, le châtiment se serait abattu sur eux sans préavis, comme il était advenu jadis pour Sodome et pour Gomorrhe. Sous la colère qui tonnait, ils devinèrent la bonté qui se cachait, toute prête à intervenir s’ils lui en donnaient l’occasion. Alors, sans hésiter, ils commencèrent par jeter bas leurs idoles, après quoi « ils publièrent un jeûne public et se vêtirent de sacs depuis le plus grand jusqu’au plus petit », afin d’expier par là leurs péchés de vanité et de sensualité.
« La chose parvint jusqu’au roi ». Ces mots montrent que le mouvement de repentance avait commencé par le peuple ; ce ne fut pas la conversion du monarque qui le déclencha. Un vent de remords et de repentir passa sur la ville : humblement, les habitants reconnurent leurs fautes, et résolurent de racheter leur conduite scandaleuse par le jeûne et la pénitence. La sincérité de ce sentiment ne saurait être mise en doute, puisque Dieu en fut touché et que, plus tard, dans l’Évangile, Notre Seigneur évoquera l’exemple des Ninivites pour faire honte à ses concitoyens.
Le roi alors régnant fut vivement impressionné en apprenant ce que clamait Jonas. « Il se leva, descendit de son trône, dépouilla ses ornements royaux, se couvrit d’un sac, et s’assit sur la cendre ». En hâte, il envoya des hérauts à travers la ville, pour publier en son nom, et avec l’approbation des principaux officiers de sa cour, car, dit Dom Calmet, dans les affaires de conséquence, il ne suffisait pas que le roi ordonnât : il fallait que les grands y concourussent ; alors les arrêts étaient irrévocables et les Ordonnances sans appel. Le roi cependant ne se contentait pas de cette pénitence spectaculaire. Il demandait aussi un sincère repentir des cœurs et un complet changement de vie. Mais il y joignait en même temps une magnifique confiance en la miséricorde infinie de Dieu, qui ne pouvait laisser insensible la tendresse du Père céleste. C’est pourquoi Dieu pardonna : Il vit leurs œuvres, dit l’Écriture. « Il vit qu’ils étaient revenus de leurs voies mauvaises, et Il se repentit du mal qu’Il avait dit qu’Il leur ferait, et Il ne le fit pas. »
Commentaire moral et mystique
La mission de Jonas à Ninive montre, contrairement à ce que pensaient les Juifs, que Dieu veut le salut de tous les hommes.
Au sens allégorique, le départ de Jonas pour la grande métropole païenne, après avoir passé trois jours dans le ventre de la baleine et en être sorti miraculeusement, représente la prédication du collège apostolique, sortant de la Judée après la mort et la résurrection du Sauveur pour commencer sa mission. La première prédication de l’Évangile, celle que le Christ accomplit par Lui-même, ne dépassa pas les frontières de la Judée. Mais ensuite, les Apôtres, ministres du Verbe – comme Jonas –, portèrent la divine parole au milieu de la Gentilité. Et leur prédication consistait à dire aussi : Encore quarante jours et Ninive sera détruite, c’est-à-dire : « Profitez du délai de la vie présente que symbolise le chiffre quarante : Dieu vous le laisse pour faire pénitence ».
commentaire de Dom Delatte
Cet enseignement du Seigneur fut donné le dernier jour de la fête [des Tabernacles], le huitième probablement (Lv 23, 36), qui était particulièrement solennel et avait pour dessein de rappeler l’entrée dans la terre promise. Le temple de Jérusalem n’avait pas d’eau vive. Durant chacun des jours de fête, le prêtre se rendait, avec une procession nombreuse, à la piscine de Siloé, au pied de la colline d’Ophel. Il y puisait, avec une urne d’or, de l’eau qu’il reportait au temple et versait au pied de l’autel des holocaustes, tandis que les chœurs chantaient le Hallel (Psaumes 113 à 117). Ainsi, la fête des Tabernacles était une réédition symbolique de ce qui s’était passé au désert : les tentes, l’eau jaillie du rocher sous la baguette de Moïse. Peut-être l’eau avait-elle aussi une signification présente : elle devait être offerte à Dieu et obtenir sa bénédiction pour les semailles nouvelles ; mais elle avait sûrement une signification prophétique, comme nous l’apprend le Seigneur lui-même. À l’occasion d’un rite liturgique, bien connu des foules, il reprend et complète l’enseignement déjà donné à la Samaritaine. Il s’exprime d’une voix forte, afin que parvienne à tous l’invitation divine.
« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. Celui qui croit en moi, comme a dit l’Écriture, des fleuves d’eau vive jailliront de son sein. » Venir au Seigneur, c’est reconnaître en lui le Fils de Dieu ; avoir soif, être altéré, c’est porter en soi une âme religieuse et désireuse de justice. En attendant le rassasiement de la vision, il n’existe dans le désert de cette vie, pour nous désaltérer et apaiser notre faim, d’autre procédé que de nous attacher au Seigneur par la foi. Nous sommes des êtres pauvres, incomplets, qui ne seront achevés que par Dieu même. Notre grande misère a besoin de lui : il est le seul qui la puisse combler. La richesse de Dieu vient à propos. On y puise, dans le Christ, en croyant en lui. Est-il exact de dire qu’on y puise ? La promesse du Seigneur est plus haute. Au chapitre 47 de sa prophétie, Ezéchiel s’était plu à montrer le temple nouveau comme inondé d’eau vive, au lieu de n’être rafraîchi que par l’eau lointaine de Siloé. Le Seigneur fait allusion, soit à cette prophétie, soit à celles d’Isaïe (Is 44, 8 et Is 58, 11) ou de Zacharie (Za 14, 8), pour montrer comment et avec quelle abondance divine seront désaltérés ceux que la foi unit au Fils de Dieu. Ils portent en eux, dans leur cœur, la source même de l’eau vive, la source qui jaillit et qui coule éternellement.
Et l’évangéliste ajoute un bref commentaire. En parlant ainsi, le Seigneur signifiait l’Esprit de Dieu que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui, Jésus. C’est l’Esprit-Saint qui est cette source d’eau vive, intérieure à nous ; c’est lui qui comble tous les désirs de notre cœur en nous attachant à Notre-Seigneur Jésus-Christ ; c’est lui qui verse en nous la plénitude de la vie divine. La vie surnaturelle est donc toute dans une relation au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit.
Prières
Oraison
Nous vous en prions, Seigneur, sanctifiez nos jeûnes, et accordez-nous, dans votre bonté, le pardon de toutes nos fautes.
Oratio
Sanctífica, quæsumus, Dómine, nostra ieiúnia : et cunctárum nobis indulgéntiam propítius largíre culpárum. Per Dóminum.
Oraison
Donnez, s’il vous plaît, à votre peuple, ô Seigneur, le salut de l’âme et du corps, afin qu’en s’attachant à la pratique des bonnes œuvres, il mérite d’être toujours défendu par votre protection.
Oratio
Da, quæsumus, Dómine, pópulo tuo salútem mentis et córporis : ut, bonis opéribus inhæréndo, tua semper mereátur protectióne deféndi. Per Dóminum.
Prière de Sainte Gertrude (1256-1301)
Ô Jésus, fontaine de vie, faites-moi boire de cette eau vive qui jaillit de votre cœur, afin que, vous ayant goûté, je n’aie soif que de vous durant l’éternité. Submergez-moi tout entier dans les profondeurs de votre miséricorde. Baptisez-moi dans la sainteté de votre mort précieuse. Renouvelez-moi dans votre sang par lequel vous m’avez racheté. Lavez dans l’eau qui sortit de votre saint côté toutes les taches dont j’ai souillé l’innocence de mon baptême. Remplissez-moi de votre Esprit et possédez-moi tout entier dans la pureté de l’âme et du corps.
Antienne
Ã. Qui sitit, véniat ad me, et bibat : et de ventre eius fluent aquæ vivæ.
Ã. Celui qui a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive : et des fleuves d’eau vive couleront de son sein.