En cette fête de sainte Scholastique, soeur de notre Bienheureux Père Saint Benoît, nous pouvons méditer ce que Saint Grégoire Le Grand nous apprend de cette sainte dans ses Dialogues (livre II, chapitres 33-34, traduction de l’Abbé Henry, Tours 1855) : son goût pour les entretiens spirituels et sa prière confiante.
Chapitre 33 : Le ciel vient au secours de sainte Scholastique pour empêcher saint Benoît d’interrompre un entretien
1. Grégoire : Y aura-t-il jamais en ce monde, mon cher Pierre, un homme d’une vertu plus éminente que saint Paul? Or, trois fois saint Paul a conjuré le Seigneur de le délivrer de l’aiguillon de la chair, sans pouvoir obtenir ce qu’il désirait. C’est pourquoi il faut que je vous raconte ce qui est arrivé au vénérable abbé, afin de vous montrer qu’un jour il n’a pu réaliser ce qu’il souhaitait.
2. Sainte Scolastique, sa sœur, qui s’était consacrée au Dieu tout-puissant dès les jours de son enfance, avait l’habitude de venir le visiter une fois l’an. L’homme de Dieu descendait à sa rencontre, à quelques pas du monastère, dans une propriété de sa dépendance. Un jour elle vint à l’ordinaire , et son vénérable frère se rendit vers elle, accompagné de quelques-uns de ses disciples. Tout le jour fut consacré aux louanges de Dieu et à de pieux entretiens; lorsque les ténèbres de la nuit vinrent couvrir la terre, ils prirent ensemble leur repas. Ils étaient encore à table, et leurs édifiantes conversations s’étaient prolongées bien avant dans la nuit, lorsque la servante du Seigneur dit à son frère : « Ne me quittez point cette nuit, je vous en prie; jusqu’au matin nous nous entretiendrons du bonheur de la vie céleste. — Que demandez-vous là, ma sœur? répondit Benoît. Je ne puis rester hors du monastère. »
3. La sérénité du ciel était parfaite, et on n’apercevait aucun nuage dans les airs. Sur la réponse négative de son frère, la servante du Seigneur croisa les mains, les posa sur la table, et appuyant sur ses mains sa tête inclinée, elle adressa , dans cette attitude, une fervente prière au Dieu tout-puissant. A l’instant où elle relevait la tête de dessus la table, les éclairs brillèrent, les éclats du tonnerre retentirent, et une pluie diluvienne tomba avec violence; si bien que le vénérable Benoît et les religieux qui l’accompagnaient se virent dans l’impossibilité de mettre le pied hors de l’appartement où ils se trouvaient. En appuyant la tête sur ses mains, la pieuse Scolastique avait répandu sur la table un torrent de larmes qui avait fait succéder la pluie à la sérénité de l’air, et d’affreux torrents avaient suivi de près sa fervente prière. La coïncidence de ces deux choses fut si parfaite, que le tonnerre se mit à gronder à l’instant même que Scolastique soulevait la tête; si bien que relever la tête et faire tomber la pluie fut l’affaire d’un moment.
4. Alors, voyant que les éclairs, les éclats du tonnerre et d’affreux torrents ne lui permettaient pas de rentrer au monastère, l’homme de Dieu se plaignit à sa sœur avec l’accent d’une profonde tristesse: « Que le Dieu tout-puissant vous le pardonne, ma sœur; qu’avez-vous fait?» Sainte Scolastique répondit: « Je vous ai adressé une prière, et vous avez refusé de l’entendre; j’ai prié mon Seigneur, et il m’a exaucée. Maintenant, si vous le pouvez, sortez et laissez-moi ici, pour vous en retourner au monastère. » Dans l’impossibilité de quitter l’appartement qui le mettait à couvert, Benoît resta malgré lui dans un lieu où il avait refusé de demeurer de son plein gré. De cette sorte ils veillèrent toute la nuit, et satisfirent pleinement leur mutuelle ardeur à conférer sur la vie spirituelle.
5. Ainsi, j’ai eu raison de dire que le vénérable Père avait, dans cette, circonstance, désiré une chose qu’il n’avait pu obtenir. Effectivement, si nous considérons l’intention de l’homme de Dieu, il n’y a pas de doute qu’il n’ait voulu la continuation de la sérénité qui régnait dans le ciel lorsqu’il descendit à la rencontre de sa sœur. Mais, contrairement à son dessein, il trouva un obstacle dans le miracle qu’opéra la charité d’une pieuse femme, par la vertu du Dieu tout-puissant. Il n’est pas étonnant qu’une sœur, désireuse de jouir plus longtemps de la présence de son frère, se soit alors trouvée plus puissante que lui : selon l’oracle de saint Jean, Dieu est charité, et c’est à juste titre qu’une plus grande puissance a été l’effet d’un plus grand amour.
Pierre : Je n’en puis disconvenir, ce que vous me dites m’enchante.
Chapitre 34 : Montée au ciel de sainte Scholastique
1. Grégoire : Le lendemain, la vénérable servante du Seigneur s’étant retirée à son monastère, l’homme de Dieu retourna à son abbaye. Trois jours après, il était dans sa cellule, lorsque, levant les yeux, il vit tout à coup l’âme de sa sœur, naguère affranchie des liens du corps, monter, sous la forme d’une colombe, dans le mystérieux séjour des cieux. L’éclat de sa gloire le transporta d’allégresse; il rendit grâces au Seigneur en chantant des hymnes à sa louange, et fit part à ses frères de cette mort bienheureuse.
2. Sur-le-champ il les envoya chercher le corps de sainte Scolastique, pour l’apporter au monastère et l’enterrer dans le tombeau qu’il s’était préparé à lui-même. De cette sorte, une même tombe réunit les mortelles dépouilles de ceux dont les âmes avaient toujours été intimement unies dans le Seigneur.