Ne faites aucun cas des petits sentiments de dévotion et des douceurs sensibles ; appliquez-vous plutôt à les repousser. Si, en effet, l’âme s’habitue à la dévotion sensible, elle n’arrivera jamais à posséder par le recueillement intérieur ces fortes suavités spirituelles qui se trouvent dans la nudité de l’esprit.

Saint Jean de la Croix

Saint Jean de la Croix (1542-1591) : leçons des Matines

Jean de la Croix, né de parents pieux, à Fontiveros en Espagne, le 24 juin 1542, fit voir clairement dès ses premières années, combien il devait plus tard être cher à la Vierge Mère de Dieu ; car, à l’âge de cinq ans, étant tombé dans un puits, il fut soutenu sur l’eau par la main de Marie, et il en sortit sain et sauf. Un tel désir de souffrir l’enflamma, que, dès sa neuvième année, il laissait un lit moelleux pour s’étendre d’ordinaire sur une couche de sarments. Parvenu à l’adolescence il se consacra au service des pauvres malades, à l’hospice de Medina del Campo : la grande ardeur de sa charité le tenait toujours prêt à leur rendre les plus bas offices. Aussi les autres infirmiers, excités par son exemple, accomplissaient-ils avec un nouveau zèle les mêmes actes charitables. Mais appelé à une vocation plus sublime, Jean embrassa l’Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel, où il reçut la prêtrise par obéissance et désireux d’une discipline très sévère, d’un genre de vie plus austère, obtint de ses supérieurs la permission de suivre la règle primitive de l’Ordre. Dès lors, à cause de son continuel souvenir de la passion du Seigneur, il se déclara la guerre à lui-même, comme à son ennemi le plus redoutable, et il eut bientôt, par les veilles, les jeûnes, les disciplines de fer et toutes sortes de macérations « crucifié sa chair avec ses vices et ses convoitises » ; aussi mérita-t-il pleinement que sainte Thérèse le comptât parmi les plus pures et les plus saintes âmes illustrant alors l’Église de Dieu.

Muni d’armes spirituelles par la singulière austérité de sa vie et l’exercice de toutes les vertus, livré à la contemplation assidue des choses divines, Jean de la Croix éprouva souvent de merveilleuses extases ; il brûlait d’un tel amour envers Dieu, que parfois ce feu divin, ne pouvant être contenu plus longtemps en lui-même et semblant rompre ses digues, on le voyait irradier le visage du saint. D’une extrême sollicitude pour le salut du prochain, Jean s’adonnait sans relâche à la prédication de la parole divine et à l’administration des sacrements. Orné de tant de mérites et embrasé du désir véhément de promouvoir une plus stricte discipline, il fut donné par Dieu comme aide à sainte Thérèse pour ramener parmi les Frères la primitive observance du Carmel, qu’elle avait établie chez les Sœurs de cet Ordre. Pour promouvoir cette œuvre divine, il supporta, ainsi que la servante de Dieu, des fatigues innombrables, visitant chacun des monastères élevés par les soins de cette même sainte vierge par toute l’Espagne, et cela sans se laisser effrayer par aucune privation, par aucun danger ; faisant fleurir en ces maisons et en celles qu’il fonda lui-même, la nouvelle observance, et affermissant cette observance par ses paroles et son exemple. Aussi est-il considéré à juste titre, comme ayant, après sainte Thérèse, le plus contribué à la réforme des Carmes déchaussés, qui a reçu ses enseignements et le nomme son père.

Jean garda toute sa vie la virginité, et des femmes impudentes s’efforçant de tendre des pièges à sa vertu, il ne se borna pas à les repousser, mais les gagna à Jésus-Christ. Pour l’explication des opérations mystérieuses de la grâce divine, il fut, au jugement du Saint-Siège, l’égal de sainte Thérèse, et c’est éclairé par les lumières d’en haut qu’il écrivit, sur la théologie mystique, des livres tout pleins d’une sagesse céleste. Le Christ lui ayant un jour demandé quelle récompense il souhaitait pour tant de travaux, il répondit : « Seigneur, souffrir et être méprisé pour vous ». Bien que son pouvoir sur les démons, qu’il chassait souvent du corps des possédés, le discernement des esprits, le don de prophétie, l’éclat des miracles l’eussent rendu très célèbre, son humilité demeura constamment telle, que souvent il demandait au Seigneur de mourir en un lieu où il serait ignoré de tous. Son vœu fut exaucé : une cruelle maladie le saisit à Úbeda, et, pour combler son désir des souffrances, il lui survint à une jambe cinq plaies purulentes : toutes choses qu’il endura avec une constance admirable. Ayant reçu pieusement et saintement les sacrements de l’Église, dans l’embrassement de Jésus-Christ crucifié, qu’il avait toujours eu dans le cœur et sur les lèvres, et après avoir prononcé ces paroles : « Je remets mon âme entre vos mains », il s’endormit dans le Seigneur, au jour (14 décembre) et à l’heure qu’il avait prédits, l’an du salut mil cinq cent quatre-vingt-onze, à l’âge de quarante-neuf ans. On vit un globe de feu tout éblouissant venir en quelque sorte au devant de son âme pour la recevoir ; son corps exhala un très suave parfum. Des miracles éclatants ayant précédé et suivi la mort de Jean de la Croix, le Souverain Pontife Benoît XIII l’a inscrit au nombre des saints (26 décembre 1726), et Pie XI, sur l’avis de la Sacrée Congrégation des Rites, l’a déclaré Docteur de l’Église universelle (24 août 1926).

Prières

Oraison

Ô Dieu, vous avez inspiré à saint Jean, votre Confesseur et Docteur, un amour sublime de la parfaite abnégation de soi et de la Croix : faites que, nous attachant toujours à l’imiter, nous obtenions la gloire éternelle.

Oratio

Deus, qui sanctum Ioánnem Confessórem tuum atque Doctorem perféctæ sui abnegatiónis et Crucis amatórem exímium effecísti : concéde ; ut, eius imitatióni iúgiter inhæréntes, glóriam assequámur ætérnam. Per Dóminum nostrum.

Prière de Saint Jean de la Croix (1542-1591)

Seigneur, Dieu, mon Bien-Aimé ! Si le souvenir de mes péchés vous empêche de m’accorder la grâce que je sollicite, accomplissez votre volonté, car c’est là ce que je préfère. Et cependant, j’ose vous en supplier, donnez lieu à votre bonté, à votre miséricorde, de resplendir dans le pardon que vous m’accorderez. Si ce sont mes œuvres que vous attendez pour m’accorder l’objet de ma requête, donnez-les-moi en les opérant vous-même en moi. Joignez-y les peines que vous voudrez bien accepter, et qu’elles viennent. Et si ce ne sont pas mes œuvres que vous attendez, qu’attendez-vous, mon très aimant Seigneur ? Pourquoi tardez-vous ? Si ce que je vous demande au nom de votre Fils est un don de grâce et de miséricorde, daignez prendre ma pauvre obole, puisque vous la désirez et donnez-moi le trésor que je sollicite, puisque votre volonté est aussi de me le donner.

Qui pourra, mon Dieu, s’affranchir des modes et des termes vulgaires, si vous ne l’élevez vous-même jusqu’à vous en pureté d’amour ? Comment montera jusqu’à vous l’homme engendré, nourri dans les bassesses, si vous ne l’élevez, Seigneur, de cette même main qui l’a formé ? Vous ne me retirerez point, mon Dieu, ce que vous m’avez une fois donné en me donnant votre Fils unique, Jésus-Christ, en qui vous m’avez donné tout ce que je puis désirer. Aussi, je veux me réjouir, car vous ne tarderez pas, si j’espère véritablement en vous.

Et toi, mon âme, qu’attends-tu, puisque dès maintenant tu peux aimer Dieu dans ton cœur ? Les cieux sont à moi et la terre est à moi. À moi les nations, à moi les justes, à moi les pécheurs. Les anges sont à moi et la Mère de Dieu est à moi. Tout est à moi. Dieu est à moi et pour moi, puisque le Christ est à moi et tout entier pour moi (cf. 1 Co 3, 22-23). Après cela, que demandes-tu et que cherches-tu, mon âme ? Tout est à toi et entièrement pour toi. Sois fière et ne t’arrête pas aux miettes qui tombent de la table de ton Père. Sors et glorifie-toi de ta gloire. Réjouis-toi, et tu obtiendras ce que ton cœur demande (Ps 36, 4). Ainsi soit-il.

Antienne

Ã. O doctor optime, Ecclesiæ sanctæ lumen, beate Ioannes, divinæ legis amator, deprecare pro nobis Filium Dei.

Ã. Ô Docteur excellent ! lumière de la sainte Église, bienheureux Jean, amateur de la loi divine, priez pour nous le Fils de Dieu.

Antienne grégorienne “O doctor”

par R. P. Joseph-Marie Mercier