Mercredi dans l’octave de Pâques
Le mot du Père Garrigou-Lagrange
S’il y a un ordre admirable dans le monde sensible, à combien plus forte raison dans le monde moral et spirituel, malgré les épreuves et tribulations : il y a assez de lumière pour ceux qui veulent voir, et marcher ainsi vers la vraie lumière de l’éternité.
Pêche miraculeuse (Io 21, 1-14) : commentaire de Dom Paul Delatte
Le dernier chapitre de saint Jean forme appendice. Nous verrons bien, par son contenu même, ce qui a déterminé l’évangéliste à l’écrire. Nous sommes en Galilée, où le Seigneur avait donné rendez-vous aux siens. Ils sont revenus tout naturellement à ce lac de Tibériade où ils ont autrefois gagné leur vie par leur travail. Et voici comment le Seigneur se manifesta de nouveau a un groupe d’apôtres. Ils étaient au nombre de sept : Simon-Pierre et Thomas, surnommé Didyme, Nathanaël (le même que Barthélémy), de Cana en Galilée, les fils de Zébédée, Jacques et Jean, et deux autres disciples, qui ne sont pas nommés. « Je m’en vais à la pêche », leur dit Simon-Pierre. « Nous irons avec vous », répondirent-ils. Ils sortirent, montèrent dans la barque, et travaillèrent toute la nuit sans rien prendre. Au matin, les pêcheurs malheureux revinrent vers le rivage ; Jésus les y avait devancés, mais tout d’abord ils ne le reconnurent pas. Il ressemblait, de loin, à tout le monde ; et c’est familièrement qu’il leur adressa la parole : « Enfants,… » L’appellation est celle d’un homme supérieur par son âge ou par sa situation, et son accent est affectueux. Ni la barque ne semblait chargée, ni les apôtres ne paraissaient très satisfaits, aussi s’explique-t-on la tournure négative que prend la question du Seigneur. Elle équivaut, selon le sens du grec, à : « N’avez-vous rien trouvé à manger ? N’avez-vous pas gagné votre vie ?», « pulmentarium », c’est ce qu’on ajoute au pain pour faire un vrai repas.
Les apôtres répondirent simplement : « Non. » Les gens découragés sont peu causeurs. Mais le Seigneur ne leur en voulut pas : « Jetez le filet, dit-il, à droite de la barque, et vous trouverez. » Ils obéirent ; et le filet se remplit si bien qu’ils ne pouvaient l’amener à eux, alourdi qu’il était par la multitude des poissons. On n’a rien pris la nuit, à l’heure opportune pourtant, et voici qu’on prend surabondamment le jour, en dehors des conditions normales, dans le voisinage de la rive ; l’opposition même entre les efforts infructueux de toute une nuit et le succès inespéré de la dernière heure, tout cela fait dire aussitôt au disciple que Jésus aimait : « C’est le Seigneur ! » Il n’est que lui qui puisse ainsi tourner en victoire les longs insuccès !…
Saint Pierre savait marcher sur les eaux, il savait nager aussi. Dès qu’il eut entendu et compris que c’était le Seigneur, il se ceignit la tunique autour du corps, — car il était jusqu’alors en tenue de travail, erat enim nudus, — et avec sa spontanéité habituelle, se jeta à la mer, afin d’arriver plus vite à Jésus. Du bateau, du filet, de la capture, de ses frères : nul souci ! Les autres disciples vinrent au rivage par la voie ordinaire, traînant après eux le filet ; il y avait deux cents coudées environ, une centaine de mètres, à franchir. En abordant, ils constatèrent que le Seigneur avait d’avance tout préparé pour le repas : du pain, du feu, et du poisson sur la braise. Mais c’était sans doute trop peu pour huit personnes, car Jésus dit aux pêcheurs : « Apportez donc quelques uns des poissons que vous venez de prendre. » Saint Pierre, alors, remonta dans la barque et amena au rivage, sans peine, semble-t-il, le filet rempli de cent cinquante-trois gros poissons. Et à la différence de la première pèche miraculeuse, les mailles ne se brisèrent point. Le nombre exact des poissons est marqué dans l’Écriture comme un souvenir précis, et afin de montrer le soin attentif et reconnaissant que mirent les apôtres à constater leur aubaine.
Selon sa coutume, saint Augustin est parti de ce nombre 153 pour échafauder une théorie arithmétique, analogue à celle du nombre 38, qui est, explique-t-il ailleurs, le nombre de l’infirmité. Le nombre 153 possède cette propriété d’être la somme de tous les nombres depuis l’unité jusqu’à son plus grand diviseur inclusivement : 1 + 2 + 3… + 15 + 16 + 17 = 153. Tout ceci peut paraître assez éloigné de l’évangile ; mais il faut se souvenir que la préoccupation des anciens était d’associer à toute réalité une idée chrétienne, de faire pénétrer la doctrine jusque dans la région lointaine des nombres abstraits ; l’arbitraire alors ne ne leur déplaisait pas. Quoi qu’il en soit du symbolisme arithmétique de 153, l’indication de saint Jean nous invite à imaginer comment la scène évangélique peut être reconstituée : le Seigneur regardait faire, en souriant ; saint Pierre prenait les poissons dans le filet ; trois disciples les recevaient de ses mains ; trois autres les rangeaient en tas de neuf, sur le rivage : c’était le moyen le plus facile pour compter exactement. Or, il y eut dix-sept petits tas de neuf poissons chacun, ce qui donne un total de 153. À cet essai de restitution le lecteur pourra d’ailleurs faire le même sort qu’à la théorie de saint Augustin !
La capture une fois reconnue, le Seigneur invite les apôtres à leur repas du matin : « Venez déjeuner », leur dit-il. Aucun d’eux ne songeait à lui demander : « Qui êtes-vous ? » car ils savaient que c’était le Seigneur ; une pareille question leur eût paru de l’incrédulité et de l’insolence, tant ils étaient sûrs maintenant d’être en face de lui. Là où la Vulgate lit : « aucun des convives », il faut lire, selon le grec : « aucun des disciples » ; en effet, ils n’étaient pas encore à table. La douce intimité qui existait avant la Passion se retrouvait comme d’elle-même ; rien n’était changé, la vie commune reprenait comme autrefois. Les détails de cette affectueuse familiarité se trahissent jusque dans la sobriété du récit. Ce n’était que par condescendance que le Seigneur acceptait de la nourriture, après la Résurrection ; aussi avait-il du loisir. Il en usait pour servir, de ses mains divines ; il ne dédaignait pas de servir à table : on eût dit qu’il l’ambitionnait comme un honneur. Aussi bien, les apôtres avaient passé une mauvaise nuit, et l’effort dernier avait ajouté à leur fatigue. Mais de cette fatigue il ne restait rien ou peu de chose, lorsqu’ils contemplaient le Seigneur leur distribuer à chacun, avec une grâce infinie, la portion de pain et de poisson. — Ce fut la troisième fois, dit saint Jean, que Jésus se manifesta à ses disciples depuis sa Résurrection d’entre les morts. Il faut l’entendre des apparitions à un groupe, au collège apostolique réuni ; car il y eut une apparition spéciale à saint Pierre et, en faveur de saint Jacques, une autre dont nous ne saurions déterminer la date (1 Cor 15, 5-7).
Oratio
Deus, qui nos Resurrectiónis Domínicæ ánnua solemnitáte lætíficas : concéde propítius ; ut per temporália festa, quæ ágimus, perveníre ad gáudia ætérna mereámur. Per eúndem Dóminum.
Oraison
Ô Dieu, qui chaque année, nous réjouissez en la solennité de la résurrection du Seigneur : faites, dans votre bonté ; qu’au moyen de ces fêtes que nous célébrons dans le temps, nous méritions d’arriver aux joies éternelles.
Extrait de l’Année liturgique de Dom Guéranger
Aujourd’hui (4ème jour de la Création) furent tirés du néant le soleil, qui devait être le type radieux du Verbe incarné ; la lune, symbole de Marie qui est belle comme elle, et de l’Église qui réfléchit la lumière du divin Soleil ; et les étoiles qui, par leur nombre et leur éclat, rappellent l’armée brillante et innombrable des élus. Glorifions le Fils de Dieu, auteur de tant de merveilles de la nature et de la grâce ; et pleins de reconnaissance envers celui qui a daigné faire luire pour nous, au milieu de nos ténèbres, tous ces admirables flambeaux, offrons-lui la prière que lui consacrait en ce jour l’Église gothique d’Espagne.
Voici que nous célébrons, Seigneur, à la lueur des flambeaux, l’office du soir de ce quatrième jour, dans lequel, établissant au firmament du ciel ses flambeaux lumineux, vous avez daigné nous donner la figure des quatre Évangélistes, dont l’accord est une lumière pour nos cœurs, et qui s’encadrent si parfaitement dans la solidité de la loi ancienne. Ils s’unissent pour annoncer aux quatre parties du monde que vous avez souffert pour nous la mort, et que vous êtes ressuscité du tombeau. Daignez donc, nous vous en supplions, nous éclairer tellement par la grâce de votre résurrection, dans l’obscurité de cette vie, que, nous qui devons ressusciter aussi, nous méritions d’arriver à la couronne.
Antiennes
Ã. Míttite in déxteram navígii rete, et inveniétis, allelúia.
Ã. Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez, alleluia.
Antienne grégorienne “Mittite”
Ã. Dixit Iesus discípulis suis : Afférte de píscibus, quos prendidístis nunc. Ascéndens autem Simon Petrus, et traxit rete in terram plenum magnis píscibus, allelúia.
Ã. Jésus dit à ses disciples : Apportez quelques-uns des poissons que vous avez pris à l’instant. Montant dans la barque Simon Pierre tira à terre le filet plein de gros poissons, alleluia.