commentaire de Dom Delatte
Le Seigneur rappelle ici, avec beaucoup de gravité, l’usage qu’il convient de faire de la richesse, si l’on veut « se ménager des amis qui nous reçoivent dans les tabernacles éternels » (Lc 16, 9). Plusieurs Pères ont cru qu’il s’agissait d’une histoire réelle. L’enseignement demeure le même si nous considérons le récit comme une parabole. Elle comprend deux actes : le premier se déroule sur terre, le second dans l’autre vie. Il y avait quelque part un homme riche ; il était vêtu de pourpre et de lin fin ; il faisait bonne chère tous les jours, splendidement. — Il n’est pas question d’injustice commise ; ce riche s’habille et mange comme la plupart des gens de sa condition ; il ne maltraite point les indigents, même repoussants ; sa faute est toute d’omission. — Et un pauvre, nommé Lazare, était habituellement couché devant la porte principale, ou le portique de sa maison : il était couvert d’ulcères, et volontiers eût fait son repas des miettes qui tombaient de la table du riche. Mais on l’oubliait (et nemo illi dabat est une glose). Il était moins chez lui que les chiens eux-mêmes ; et, comme aggravation de souffrance, ces bêtes, immondes aux yeux des Orientaux, s’approchaient de lui familièrement et léchaient ses plaies.
Le pauvre vint à mourir et fut porté par les anges dans le sein d’Abraham : de sépulture pour son corps, il n’est pas même question, tant elle fut sommaire. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli avec soin : on lui fit de magnifiques funérailles. Mais à partir de là, tout change : Lazare est porté par les anges au séjour des justes, l’autre plongé dans l’abîme profond des tourments. Les âmes, aussitôt après la mort, ont la situation et l’état qui correspondent au mérite de leur vie. Les bons reposent dans le séjour que les rabbins appelaient le sein d’Abraham ou le Paradis (Lc 23, 43) ; les méchants souffrent dans la géhenne du feu ou l’enfer proprement dit. Peut-être tous les détails de la description qui va suivre ne doivent-ils pas être pris à la lettre ; le dessein évident du Seigneur n’étant pas de nous révéler, par cette parabole, les secrets du monde invisible, il a pu employer le langage communément reçu autour de lui sans consacrer pour autant toutes les opinions populaires que ce langage reflète. Cependant, nous avouons ne pas concevoir la Vérité même se servant, pour parler du sort qui attend les hommes après cette vie, d’éléments totalement inexacts et irréels. Dès qu’il s’agit de données religieuses, le Seigneur rectifie ou réforme nettement, au besoin, les idées de ses contemporains.
Dans le séjour des morts, le riche leva les yeux, alors qu’il était dans les tourments, et il vit de loin Abraham et Lazare près de lui. Et il s’écria : « Père Abraham ! ayez pitié de moi ! Envoyez Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau et me rafraîchir la langue, car je souffre cruellement dans ce brasier. » Il ne trouve pas le châtiment injuste, mais seulement intolérable : le moindre soulagement serait le bienvenu. Mais Abraham répondit : « Mon enfant, souvenez-vous que vous avez reçu largement votre part de biens pendant votre vie, et que Lazare n’a connu que les maux durant la sienne : maintenant il est ici, consolé, et vous, livré à la souffrance. » La réponse calme du Patriarche rappelle au riche égoïste qu’il a touché déjà sa part de bonheur et n’a point à prétendre aux félicités d’un Royaume qui ne s’achète que par le renoncement et la charité. Le riche possède l’éternité qu’il a voulue. Dieu est équitable envers lui, comme envers Lazare (cf. Lc 6, 20-26). Et Abraham ajoute, pour montrer la séparation radicale et éternelle des deux régions, en même temps que la pérennité du châtiment et de la récompense : « Entre nous qui sommes dans la joie et vous qui êtes dans la douleur, existe, fermement établi, un grand abîme ; de telle sorte que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous, ou de là vers nous, ne le puissent faire. »
Au moins, si le sort du riche est désespéré et s’il n’est plus temps pour lui, il l’est sans doute encore pour ses frères, à qui il s’intéresse et voudrait épargner les mêmes tourments. S’il y a un abîme entre le sein d’Abraham et la géhenne, du moins y a-t-il parfois des relations entre les bienheureux et les mortels : Lazare, qui ne peut rien pour le condamné, ne pourra-t-il cependant rendre service à ses proches ? « Je vous en prie donc, Père, envoyez-le dans ma maison paternelle, où j’ai cinq frères ; il leur dira, comme un témoin bien renseigné, ce qui se passe en l’autre vie, afin qu’ils ne viennent point, à leur tour, dans ce lieu de la souffrance. » Mais Abraham refuse. À ce malheureux, qui symbolise les Juifs incrédules, les pharisiens déloyaux dans leur interprétation de l’Écriture comme dans leurs discussions avec le Messie, le Père des croyants répond : « Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent ! » (Cf. Lc 16, 16.) Et le riche discute : « Non, Père Abraham : mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils changeront de vie. » Et Abraham reprend : « S’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, quand bien même quelqu’un des morts ressusciterait, ils ne se laisseraient pas persuader. » On le verra bien après la résurrection du vrai Lazare (Io 11, 47 sq.). Les miracles n’ont point manqué aux pharisiens, mais le Seigneur n’accomplissait jamais celui qu’il leur convenait de reconnaître décisif (Lc 11, 16 sq.). La persuasion surnaturelle vient de l’humilité, de la docilité, de la liberté intérieure.
Prières
Oraison
Daignez, Seigneur, nous accorder le secours de votre grâce, afin que, persévérant comme il convient dans le jeûne et la prière, nous soyons délivrés des ennemis de l’âme et du corps.
Oratio
Præsta nobis, quæsumus, Dómine, auxílium grátiæ tuæ : ut, ieiúniis et oratiónibus conveniénter inténti, liberémur ab hóstibus mentis et córporis. Per Dóminum.
Oraison
Assistez, Seigneur, vos serviteurs et accordez-leur les incessantes marques de votre bonté qu’ils sollicitent, de sorte qu’en ceux qui se glorifient de vous avoir pour créateur et pour guide, vous restauriez les bons éléments que vous y aviez réunis et conserviez ce que vous aurez restauré.
Oratio
Adésto, Dómine, fámulis tuis, et perpétuam benignitátem largíre poscéntibus : ut iis, qui te auctóre et gubernatóre gloriántur, ei congregáta restáures et restauráta consérves. Per Dóminum.
Prière de Dom Robert Morel (1653-1731)
Vous perdrez, mon Dieu, sans ressource tous ceux qui en mourant se trouveront marqués du caractère de la bête. Effacez donc, je vous prie, tout ce qui en reste en moi, et faites qu’il diminue chaque jour, et qu’il se réduise enfin à rien. Il faut que tout ce qu’il y a de vicieux en moi périsse, ou que je périsse moi-même, que je fonde comme de la cire, ou par le feu de votre Amour, ou par celui de votre colère. Ah ! Seigneur, ne me réservez pas à ce feu ténébreux, qui doit priver pour jamais les âmes de la vue de votre Lumière. Consumez plutôt maintenant par l’ardeur de la charité et du zèle de votre justice, tout ce qu’il y a d’impur en moi, et qui pourrait m’empêcher de vous voir. Que mon cœur fonde maintenant de tendresse et de douleur, à la vue de vos bontés et de mon ingratitude, de peur qu’à la sortie de ce monde, il ne fonde de confusion et de désespoir, à la vue de votre colère et de mon malheur. Ainsi soit-il.
Antienne
Ã. Fili, recordáre, quia recepísti bona in vita tua, et Lázarus simíliter mala.