commentaire de Dom Delatte
La parabole des méchants vignerons, commune aux trois synoptiques, est plus expressive et plus circonstanciée que la précédente (parabole des deux fils). Elle annonce la réprobation de la Synagogue et l’accession de la gentilité au Royaume de Dieu. Jusque dans ses détails elle devait rappeler aux Juifs le chapitre 5 d’Isaïe : Vinea facta est dilecto meo… ; et comme le prophète fait lui-même à Jérusalem et à Juda l’application de son allégorie, l’auditoire du Seigneur avait à peine besoin de commentaire. Cette parabole est donc tout à la fois historique et prophétique. Jésus s’adresse à la foule; mais la Synagogue écoute, et dans un instant elle sera directement interpellée.
Il y avait un père de famille, un maître de maison, qui planta une vigne, l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir, et bâtit une tour, du haut de laquelle le chef des ouvriers pouvait exercer sa surveillance. La vigne, ainsi préparée, fut affermée à des vignerons ; puis le maître retourna à ses affaires et s’éloigna. Cet éloignement, ce départ « pour longtemps » (saint Luc), n’a sans doute dans la parabole d’autre dessein que de préparer la vraisemblance de ce qui suit ; on s’expliquerait mal en effet l’attitude des vignerons et l’envoi successif de représentants, si le maître était demeuré à peu de distance de sa propriété ; de même, à la fin, son retour est nécessaire à la parabole.
Lorsque le temps de la récolte fut venu, le maître envoya un serviteur près des vignerons afin qu’ils lui remissent, en argent ou en nature, sa part du produit de la vigne. C’était, semble-t-il, le régime du métayage ; au lieu d’un revenu fixe, on adoptait un système à la fois équitable et encourageant : équitable, parce que les deux partageants couraient ensemble les mêmes risques ; encourageant, parce que le travailleur était intéressé à grossir sa part. L’intendant fut très mal reçu ; on se saisit de lui, on le battit, et on le renvoya les mains vides. De nouveau le maître députa vers eux un autre serviteur: mais celui-là, ils le frappèrent à la tête, l’outragèrent et le congédièrent comme le premier. Un troisième vint, qui fut tué. Sans se décourager, le maître envoie encore beaucoup d’autres messagers : les uns sont roués de coups, les autres lapidés ou égorgés. Nous reconnaissons l’histoire des prophètes : Hierusalem, Hierusalem, quæ occidis prophetas et lapidas eos qui ad te missi sunt… (Mt., 23, 37 ; cf. Act 7, 52).
Que faire ? se demande le maître. Il lui restait encore quelqu’un, écrit saint Marc : un fils bien-aimé. C’était le dernier qu’il pût envoyer à ces malheureux ; peut-être celui-là du moins avait-il chance de réussir : « Ils respecteront mon fils », se disait-il. Sous cette forme enveloppée, le Seigneur dépeint la situation actuelle avec une rigoureuse exactitude, en même temps que, par un détour, il donne réponse à la question que le Sanhédrin lui adressait naguère : « Dites-nous en vertu de quelle autorité vous agissez ainsi ? » Désormais, ce n’est plus l’histoire ancienne, c’est la description de ce qui se prépare ; ce n’est plus simplement l’allégorie, mais la réalité de demain. Apercevant le fils de leur maître, les vignerons révoltés se dirent entre eux : « Voici l’héritier ! Allons, tuons-le, et l’héritage sera nôtre. » Il n’y aura plus de partage, plus d’éviction possible : l’héritier légitime supprimé, nous demeurerons seuls en possession. C’est le raisonnement de la Synagogue jalouse, exclusive. Mais le calcul, direz-vous, n’est guère intelligent ; comment ne songent-ils pas aux représailles ? L’égoïsme forcené est aveugle : il ne sait rien conserver de tout le bien qu’il prétend garder, il va de lui-même au devant de tout le mal. Les vignerons se saisirent donc du fils, le jetèrent hors de la vigne, comme pour témoigner qu’elle n’était plus sienne, et le tuèrent. Tel sera, dans trois jours, le sort du Seigneur : il sera mis à mort hors de Jérusalem, extra castra (Hbr 13, 11-13) ; car la ville sainte ne pouvait être souillée par l’effusion du sang, et celui que l’on traînait ainsi hors de Jérusalem devenait un excommunié pour elle, il n’avait plus de part à l’alliance avec Dieu (cf. Act 7, 58).
« Cela étant, lorsque viendra le maître de la vigne, comment traitera-t-il ses vignerons ? » Le Seigneur porte ainsi la cause au jugement de la foule qui l’entoure. Selon saint Matthieu, la réponse vient de la foule, non du Seigneur. Pour concilier saint Matthieu avec les autres synoptiques, on peut supposer que, parmi les auditeurs, il en est qui ont accueilli naïvement, loyalement, la parabole, et si bien répondu à la question posée que le Seigneur n’a plus qu’à ratifier leur dire : « Il fera périr misérablement ces misérables, et il affermera sa vigne à d’autres ouvriers, qui seront fidèles et lui serviront, en temps voulu, les fruits auxquels il a droit. » Remarquons la formule : cum venerit dominus vineæ ; ce sera donc un jour d’avènement divin que celui de la destruction de Jérusalem. — Sans doute, là où la foule ne voyait qu’un apologue encore mystérieux, les sanhédrites commençaient à deviner une menace directe : « Absit ! s’écrièrent-ils ; à Dieu ne plaise qu’arrive pareille chose ! » Mais le Seigneur, arrêtant sur eux ses regards, ajouta une remarque décisive : Vous dites que cela n’arrivera pas, que cela ne peut arriver ? Alors, il faudra que soit démentie la parole de Dieu que nous lisons au Psaume 117 (ce même Psaume si souvent répété durant ces derniers jours, et auquel les foules avaient emprunté leur Hosanna). N’avez-vous donc jamais lu dans l’Écriture : « La pierre écartée par les bâtisseurs est devenue tête d’angle, pierre angulaire, soutien de l’édifice entier. C’est l’œuvre du Seigneur, un objet d’étonnement et d’admiration pour nos yeux » (cf. Act 4, 10-12). Tel est le décret de Dieu : la théocratie, ce privilège de nation religieuse dont vous vous êtes rendus indignes vous sera arraché ; il sera donné à une nation fidèle, qui produira des fruits de salut, qui vivra conformément aux exigences de la royauté de Dieu sur elle.
Le Seigneur se complaît à signaler aux Juifs, dans leurs propres archives, les témoignages multipliés qui leur annoncent la déchéance. Isaïe (8, 14-15 ; 28, 16) et Daniel (2, 44-45) nous ont parlé, comme le Psalmiste, de cette pierre vivante, « hors de laquelle, dira saint Pierre, il n’y a point de salut » : quiconque se heurtera à elle, devenue ainsi pierre de scandale, s’y brisera ; et celui sur qui tombera cette pierre sera broyé par son pouvoir souverain. Dorénavant, la société religieuse n’est plus la Synagogue, mais l’Église, l’édifice spirituel nouveau fondé sur la pierre rejetée par les bâtisseurs, — comme le fils du maître rejeté hors de son propre héritage (Rm 9, 32-33 ; 1 Pt 2, 4-8). Les princes des prêtres, les pharisiens et les scribes ne pouvaient plus se méprendre sur l’application de ces paraboles menaçantes : visiblement, ils en étaient l’objet. Aussi eussent-ils voulu, à l’instant même, s’emparer de lui. Mais toujours ils craignaient le peuple, qui tenait Jésus pour un prophète, et ils se résignèrent une fois de plus à épier une meilleure opportunité.
Prières
Oraison
Faites, ô Dieu tout-puissant, que purifiés par ce jeûne sacré, nous parvenions avec un cœur sincère aux saintes solennités qui approchent.
Oratio
Da, quæsumus, omnípotens Deus : ut, sacro nos purificánte ieiúnio, sincéris méntibus ad sancta ventúra fácias perveníre. Per Dóminum nostrum.
Oraison
Donnez à votre peuple, nous vous en supplions, Seigneur, la santé de l’âme et du corps afin que s’attachant aux bonnes œuvres, il mérite de demeurer toujours sous la protection et sous la défense de votre puissance.
Oratio
Da, quæsumus, Dómine, pópulo tuo salútem mentis et córporis : ut, bonis opéribus inhæréndo, tuæ semper virtútis mereátur protectióne deféndi. Per Dóminum.
Prière de Dom Robert Morel (1653-1731)
Vous nous apprenez, mon Sauveur, par ce que vous avez fait et souffert pour nous laver et nous purifier des souillures de notre origine, ce que nous devons faire et souffrir nous-mêmes pour nous purifier de celles que nous avons contractées par les péchés que nous avons commis. Que de larmes, que de sang n’avez-vous pas répandu ; que de peines, que de travaux n’avez-vous pas essuyés pour cela ? Ne serait-ce pas à nous une folle présomption de prétendre pouvoir recouvrer, sans qu’il nous en coûte rien, la pureté que nous avons perdue, pendant qu’il vous en coûte tant pour nous la donner ; il est juste qu’il nous en coûte comme à vous bien des peines, des travaux, des gémissements et des larmes et qu’à l’exemple du Prophète, nous donnions à cela toute notre application, tous nos soins, tous nos efforts et toutes nos prières. Ainsi soit-il.
Antiennes