commentaire de Dom Delatte
Jésus vint à Nazareth, où il avait été élevé, et, selon sa coutume, il entra, le jour du sabbat, dans la synagogue. La lecture d’Écriture Sainte et son commentaire ou « parole de consolation » étaient fournis d’ordinaire par un rabbi ; mais le chef de la synagogue invitait parfois un docteur étranger à se faire entendre. On lisait d’abord un fragment de la Loi, du Pentateuque, ensuite un passage des Prophètes : en hébreu premièrement, puis l’interprète traduisait en araméen, car le peuple n’entendait plus l’hébreu depuis la captivité. Le Seigneur « se leva pour lire » probablement le texte de la Loi ; le ministre de la synagogue lui mit en mains un exemplaire du prophète Isaïe. Et ayant déroulé le volume, il trouva la leçon du jour, la portion désignée par le rôle. C’était un passage du chapitre 61. Voici ce que lut le Seigneur (l’évangéliste cite d’après les Septante) ; « L’Esprit du Seigneur est sur moi, son onction m’a désigné pour annoncer aux pauvres la bonne nouvelle ; il m’a envoyé guérir ceux qui ont le cœur brisé, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles la guérison de leur cécité, renvoyer libres ceux qu’on moleste, publier l’année de grâce du Seigneur. » Les mots : dimittere confractos in remissionem appartiennent au chapitre 58 d’Isaïe : l’évangéliste, ou le Seigneur lui-même, les ont ajoutés pour achever, par ce trait nouveau, le programme du ministère messianique. Les confracti sont ceux dont la fortune a sombré, qui ne peuvent par conséquent payer leurs dettes et qu’on tient enfermés dans les ténèbres d’une prison. Chez le prophète, ces paroles sont placées sur les lèvres du serviteur de Dieu comme un message à Israël captif pour lui promettre la restauration de Jérusalem : la rentrée dans la ville sainte aura des effets analogues à ceux de l’année jubilaire qui réparait toutes les erreurs des quarante-neuf années précédentes (Lv 25) ; la situation décrite par Isaïe est donc symétrique à celle de l’Évangile. Mais ici, c’est tout le cours du temps, à dater du Messie jusqu’à l’éternité, qui n’est qu’une année de rémission, de bénédiction, de salut.
La lecture achevée, le Seigneur roula le volume et le rendit au ministre qui le lui avait donné. Ensuite il s’assit : c’était l’attitude de l’enseignement. Tous ceux qui se trouvaient dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui. Un intense intérêt s’attachait à la personne du Seigneur, révélé comme prophète, comme docteur, comme thaumaturge. Il commença la glose. « C’est aujourd’hui, leur dit-il, que s’accomplit la parole de l’Écriture que vous venez d’entendre. » Sans doute le discours du Seigneur n’est-il raconté ici qu’en abrégé. Nous pouvons supposer qu’il parla longtemps, pour commenter le texte d’Isaïe et s’accréditer auprès de ses compatriotes. Et tous lui rendaient témoignage, c’est-à-dire reconnaissaient qu’il parlait bien et que sa doctrine était vraiment belle. Les Juifs écouteront aussi saint Étienne ! Mais cette attention est trop peu, et ne suffit pas pour construire la foi. Ils étaient surpris, continue l’évangéliste, des paroles de grâce, des paroles éloquentes et séduisantes qui sortaient de ses lèvres. Et ils murmuraient entre eux : « Mais, n’est-il pas le fils de Joseph? » Lui, un prophète? Lui, le Messie? Mais, nous n’y avions jamais pensé ! Il nous enseigne, lui que nous avons connu tout petit ; lui qui n’a pas étudié, qui n’a pas fréquenté les écoles des rabbis ! Voilà bien les réflexions de la médiocrité, qui n’admet pas qu’à côté d’elle il puisse y avoir autre chose que médiocrité.
Le Seigneur avait contre lui le tort d’être connu ; puis le tort d’être allé à Capharnaüm d’abord (Io 2, 12). Nazareth s’irrita de l’apparente préférence accordée par le Seigneur à une ville peut-être rivale, assez décriée, où les Juifs étaient en minorité, et n’avaient même pas de quoi se bâtir une synagogue (Lc 7, 5). De plus, il y avait eu des miracles à Cana, il y en avait eu à Capharnaüm : Nazareth seule n’avait encore rien obtenu. Était-ce d’un prophète vraiment attaché à son pays? Il est probable que l’assemblée fit remarquer au Seigneur qu’elle ne se payait pas de paroles, que la coïncidence et l’explication d’un texte prophétique, c’était trop peu pour établir une doctrine et une mission nouvelles. Sans aucun doute, reprit le Seigneur, vous me citerez le proverbe : Médecin, guérissez-vous vous-même. Et vous me direz : Tout ce que nous avons appris que vous fîtes à Capharnaüm, faites-le encore ici, dans votre patrie. Un médecin se doit à lui-même, tout d’abord, la santé qu’il prétend procurer aux autres : de même vous, c’est à vos concitoyens, à tous ceux qui vous sont le plus proches, que vous devriez premièrement accorder le bénéfice de votre pouvoir miraculeux. — Ou bien le medice, cura teipsum serait un conseil adressé au Seigneur de se guérir lui-même, c’est-à-dire de sortir de l’humilité de sa condition, à force de miracles, avant de s’attribuer la mission de soulager et de guérir autrui. Quelle que soit l’explication, ce que sollicitaient les Nazaréens, c’était, à leur bénéfice, une réédition de ce qui avait été accompli à Capharnaüm.
Je vous entends, dit le Seigneur, il vous faut des miracles pour vous, et tout neufs. Mais un ministère surnaturel ne saurait s’incliner devant de telles injonctions. Je le vois bien, il n’y a point pour moi d’exception à la règle qui veut que nul prophète ne soit accueilli dans sa patrie. Alors le Sauveur rappelle ce qui advint à Élie et à Élisée, et constate que les principes qui le guident sont ceux-là mêmes qui ont guidé les anciens. Le prophète ne s’appartient pas : il est à Dieu, et Dieu l’envoie où il veut ; les miracles n’ont pas pour dessein de repaître la curiosité ou de calmer de petites jalousies ; ils vont à ceux que Dieu en juge dignes. En vérité, je vous le dis, les veuves ne manquaient pas en Israël, au temps d’Élie, alors que le ciel fut fermé pendant trois ans et six mois et qu’il y eut une grande famine sur tout le pays : et pourtant, le prophète ne fut envoyé à aucune d’elles, mais bien à une veuve de Sarepta de Sidon (3 Rg 18). Et les lépreux ne manquaient pas non plus en Israël, au temps du prophète Élisée : et pourtant, nul d’entre eux n’obtint sa guérison : Naaman le Syrien fut seul purifié (4 Rg 5).
Ainsi, les miracles étaient refusés aux Nazaréens ; leurs fâcheuses dispositions étaient mises à nu. Et de même que les Juifs s’élèveront avec violence contre saint Paul enseignant que les bénédictions de Dieu vont aux gentils comme aux fils d’Israël, de même tous ceux qui se trouvaient alors dans la synagogue furent remplis de colère, en entendant les paroles du Seigneur. Ils se levèrent pour le chasser de cette ville qu’il ne reconnaissait pas pour sa patrie. Ayant formé cercle autour de lui, ils le conduisirent sur le sommet de la colline où était construite leur cité, afin de le jeter dans un des précipices voisins. Mais Jésus, passant au milieu d’eux, s’en alla. Il ne suffit pas de supposer que la majesté de sa personne et la fermeté de son regard imposèrent à ces furieux : car alors comment expliquer que cette attitude ne les ait pas retenus plus tôt? Il faut admettre ou bien que le Seigneur se soit rendu invisible à leurs yeux, ou bien qu’il ait paralysé leurs mouvements, comme il le fit un instant à Gethsémani (Io 18, 6).
Prières
Oraison
Nous vous supplions, Seigneur, de répandre en toute bonté votre grâce dans nos cœurs, afin que, de même que nous nous abstenons de manger des viandes, nous retirions aussi nos sens de tout excès nuisible.
Oratio
Córdibus nostris, quæsumus, Dómine, grátiam tuam benígnus infúnde : ut, sicut ab escis carnálibus abstinémus ; ita sensus quoque nostros a nóxiis retrahámus excéssibus. Per Dóminum.
Oraison
Que votre miséricorde nous vienne en aide, Seigneur, en sorte que votre protection nous arrache aux périls imminents où nos péchés nous engagent ; et que votre intervention libératrice nous conduise au salut.
Oratio
Subvéniat nobis, Dómine, misericórdia tua : ut ab imminéntibus peccatórum nostrórum perículis, te mereámur protegénte éripi, te liberánte salvári. Per Dóminum nostrum.
Prière de Saint Thomas More (1478-1535)
Donnez-moi la grâce, Seigneur bon, de tenir pour rien le monde ; de tenir mon esprit fixé en vous, et de ne pas flotter au souffle des bouches humaines ; de m’accommoder à la solitude, de n’être pas avide de compagnie mondaine, peu à peu de rejeter le monde et de libérer mon esprit de son tourbillon ; de ne pas être avide de ses nouvelles mais dégouté de ses vanités ; joyeusement de penser à Dieu, d’implorer son secours et de prendre appui en son réconfort ; de me mettre activement à l’aimer, de découvrir ma vilenie et ma misère, pour me faire tout petit sous sa main puissante ; de pleurer mes péchés passés, et pour m’en purifier de supporter patiemment l’adversité ; de souffrir volontiers mon purgatoire ici-bas, d’accueillir avec joie les tribulations ; de suivre l’étroit chemin qui conduit à la vie ; de porter la Croix avec le Christ ; d’avoir en mémoire les fins dernières, d’avoir toujours ma mort devant les yeux, une mort toujours présente, pour qu’elle ne me soit pas étrangère. D’envisager et considérer le feu éternel de l’enfer ; d’implorer mon pardon avant que vienne le Juge, d’avoir sans cesse à l’esprit la Passion que le Christ souffrit pour moi. De le remercier continuellement de ses bienfaits, de racheter le temps que j’ai perdu, de m’abstenir de vaines parlotes et de sotte gaîté ; de couper court aux récréations superflues. De tenir pour rien la perte des biens de ce monde, des amis, de la liberté et du reste pour gagner le Christ. De voir en mes ennemis, mes plus grands amis, car les frères de Joseph n’auraient jamais pu lui faire autant de bien par amour et affection qu’ils lui en firent par leur malice et leur haine. Ces dispositions sont plus désirables pour tout homme que tout le trésor des princes et rois, chrétiens et païens, fût-il réuni et rassemblé en un seul tas. Ainsi soit-il.
Antienne