La joie qu’on goûte dans le Royaume de Dieu n’a rien de charnel, rien de mondain, ce n’est pas une joie qui à la fin se change en deuil, mais une joie en laquelle la tristesse elle-même finit par se changer, car ce n’est pas la joie de ceux qui se réjouissent quand ils ont mal fait, ni l’allégresse qu’ils ressentent dans les pires choses, mais c’est la joie qu’on ressent dans le Saint-Esprit, double joie de la pensée des biens de la vie future et du support des maux de la vie présente.
Saint Bernard

Sermon pour le 4ème dimanche de Carême : La joie chrétienne.

par R. P. Joseph-Marie Mercier

La liberté chrétienne (Gal 4, 22-31) :
commentaire de Dom Delatte

Dans la Genèse (Gn 16 et 21) il est dit d’Abraham qu’il eut deux fils, nés l’un de l’esclave Agar, l’autre de la femme libre, Sara. Le fils de l’esclave est né de la chair, selon la voie commune ; l’autre est le fils de la promesse : il naît miraculeusement d’une mère stérile, d’un père centenaire. Ces faits sont historiques ; ils sont allégoriques aussi et expressifs de réalités qui les dépassent. C’est le propre de Dieu de donner une voix aux événements eux-mêmes. Agar et Sara sont des personnes réelles ; elles sont en même temps, à leur insu, les symboles de deux Testaments, le dessin abrégé de deux formes de dispensation surnaturelle. La première économie prend naissance au Sinaï, elle enfante pour la servitude. C’est Agar. Ce nom d’Agar signifie la montagne de Sinaï en Arabie, qui symboliquement correspond à la Jérusalem présente, esclave comme ses fils.

Nous sommes en plein allégorisme, mais c’est l’allégorisme de saint Paul et de l’Esprit de Dieu. Pour expliquer que la personne d’Agar symbolise l’ancienne loi et la Jérusalem du temps, il n’est pas interdit, non plus qu’il n’est nécessaire, de supposer que dans la chaîne du Sinaï, il était un sommet qui portait le nom. d’Agar ; ou bien que l’esclave, dite Égyptienne (Gn 16, 1), était née dans une portion de l’Arabie sur laquelle s’exerçait la domination de l’Egypte. II suffit pour justifier le symbolisme, qu’elle soit l’épouse d’Abraham, qu’elle soit l’esclave, qu’elle donne naissance à des enfants qui sont esclaves comme elle. — Le rapport établi entre Jérusalem et le mont Sinaï s’explique plus facilement encore. Jérusalem était la capitale religieuse d’une économie qui avait pris son origine au Sinaï : c’était là que Dieu avait contracté alliance avec son peuple ; le Sinaï était le séjour de Dieu, et c’est de là que partaient les théophanies pour exercer dans le monde les œuvres de justice (Is 53; Hab 3). II y a donc une Jérusalem du temps et de la terre ; elle est née en Arabie, sur le Sinaï, elle est esclave et soumise à une loi, elle donne naissance à des fils esclaves comme elle.

Mais il est une autre Jérusalem, la Jérusalem d’en-haut, la Jérusalem céleste, comme dira l’épître aux Hébreux, la Jérusalem nouvelle, dira saint Jean : celle-là, c’est l’épouse libre, l’épouse de Dieu, la mère des chrétiens. Comme Sara elle a été longtemps stérile, mais après des siècles de stérilité c’est à elle, la mère d’Isaac et de la joie parfaite, que s’adresse le prophète Isaïe : « Réjouis-toi, femme stérile qui n’enfantais pas ; éclate en cris de joie, épouse hier inféconde : aujourd’hui la faveur de Dieu est revenue vers toi, et tes fils dépassent en nombre les fils de ta rivale» (Is 54, 1). Et ces fils sans nombre, ces fils nés de la promesse comme Isaac, ces fils libres comme leur mère, c’est vous mes frères ! Pourquoi déchoir de votre liberté et de votre grandeur ?

L’allégorie biblique se poursuit encore plus loin, et dessine en Ismaël et en Isaac les rapports actuels du mosaïsme avec le christianisme, plus jeune que lui. Comme autrefois (Gn 21, 9) le fils selon la chair molestait le fils de la promesse, le mosaïsme persécute aujourd’hui le christianisme. Mais cet effort est sans avenir ; l’Ecriture a fixé d’avance le sort de l’un et de l’autre : « Dehors l’esclave et son fils : il ne convient pas que le fils de l’esclave soit appelé, avec le fils de l’épouse libre, à partager l’héritage d’Abraham » (Gn 21, 10).

La conclusion de l’Apôtre réunit le dernier verset du chapitre IV et le premier du chapitre V : Mes frères, nous sommes les fils non de l’esclave, mais de l’épouse libre : gardons intacte la liberté que nous a donnée le Christ et ne revenons pas au joug de l’ancienne servitude.

Nous croyons utile de nous arrêter un instant à cette affirmation de la liberté chrétienne dont plusieurs s’efforçaient d’exagérer la portée. Une disposition divine avait établi que le christianisme, antérieurement préparé, devrait un jour se greffer sur le judaïsme, et bénéficierait ainsi, dès sa naissance, de tout le travail religieux qui l’avait précédé. En même temps le mosaïsme se défendait contre le nouveau venu, lui contestait ses droits et le mettait en demeure ou de se confondre avec lui, ou de se distinguer de lui. Se confondre, le christianisme ne le pouvait pas, sous peine de périr dès son berceau ; se distinguer, il ne le pouvait qu’en soulignant la différence profonde qui le séparait de l’ancienne économie. Seule, en effet, cette différence caractéristique, essentielle, était capable de dessiner sa physionomie. Cette différentielle, selon saint Paul, c’est la liberté. Encore faut-il définir en quoi consiste cette liberté.

Même en sa notion la plus générale la liberté implique deux éléments : un affranchissement tout d’abord ; puis une action dont cet affranchissement est en nous la condition et le moyen. On n’est pas libre pour être libre, mais pour agir librement ; et selon la profonde doctrine de l’Ecole, on est libre pour agir selon l’intelligence. À l’origine nous n’avons pas la liberté ; mais à condition d’user de la liberté que nous possédons, nous entraînons notre vie vers la liberté parfaite, vers la plénitude de la liberté. Une discipline laborieuse et résolue nous soustrait à cet ensemble confus de tendances, d’habitudes, de dispositions désordonnées qui sollicitent notre volonté et notre action, et les font dévier des lignes de l’intelligence ; notre volonté, notre action sont libres lorsqu’elles ne sont plus tenues en échec par les exigences et les importunités des puissances inférieures. Être affranchi des basses servitudes au point de vouloir et d’agir selon l’intelligence, c’est la liberté ; être affranchi de toutes sollicitations inférieures au point de vouloir et d’agir selon la pensée de Dieu, c’est liberté chrétienne. Il se trouve donc que la liberté est simplement docilité à l’Esprit de Dieu, et nous voyons se dessiner très nettement toute la doctrine qui aboutira à cette admirable formule : Ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu, voilà les enfants de Dieu. (Rm 8, 14). Ce qui fait notre liberté d’enfants de Dieu, c’est précisément notre docilité intérieure à la pensée, au vouloir, à l’influence de Dieu.

La multiplication des pains (Io 6, 1-15) :
commentaire de Saint Augustin

Les miracles accomplis par notre Seigneur Jésus-Christ sont vraiment des œuvres divines et ils invitent l’esprit humain à s’élever des événements visibles à la connaissance de Dieu. Dieu, en effet, n’est pas de telle substance qu’il puisse être vu des yeux du corps. D’autre part, ses miracles, grâce auxquels il régit le monde entier et prend soin de toute la création, sont, par leur fréquence, devenus communs, au point que personne, pour ainsi dire, ne daigne prêter attention à l’action admirable et étonnante de Dieu dans n’importe quelle semence. C’est pourquoi, en sa miséricorde même, il s’est réservé d’opérer, en temps opportun, certains prodiges en dehors du cours habituel et ordinaire de la nature : ainsi la vue de faits, non plus grands, mais insolites, frappera tout de même d’étonnement ceux pour qui les miracles quotidiens sont devenus quelconques.

Car c’est un plus grand miracle de gouverner le monde entier que de rassasier de cinq pains cinq mille personnes. Et pourtant, nul ne s’étonne du premier prodige, tandis que l’on est rempli d’admiration pour le second, non parce qu’il est plus grand, mais parce qu’il est rare. Qui, en effet, maintenant encore, nourrit le monde entier, sinon celui qui, de quelques grains, fait sortir les moissons ? Jésus a donc agi à la manière de Dieu. En effet, par cette même puissance qui d’un petit nombre de grains multiplie les moissons, il a multiplié entre ses mains les cinq pains. Car la puissance était entre les mains du Christ. Ces cinq pains étaient comme des semences non plus confiées à la terre, mais multipliées par celui qui a fait la terre.

Ce prodige a donc été présenté à nos sens pour élever notre esprit ; il a été placé sous nos yeux pour exercer notre intelligence. Alors, admirant le Dieu invisible à travers ses œuvres visibles, élevés jusqu’à la foi et purifiés par la foi, nous désirerons même voir l’Invisible en personne ; cet Invisible que nous connaissons à partir des choses visibles.

Prières

Oraison

Nous vous en prions, Dieu tout-puissant, ayez égard aux vœux de nos cœurs humiliés, et pour nous défendre, étendez le bras de votre majesté.

Oratio

Concéde, quæsumus, omnípotens Deus : ut, qui ex merito nostræ actiónis afflígimur, tuæ grátiæ consolatióne respirémus. Per Dóminum nostrum.

Prière tirée du Triodion de l’Église grecque pour la mi-carême

Déjà nous avons parcouru plus de la moitié de la carrière du jeûne ; courons dans le stade, et achevons la course avec allégresse ; répandons sur nos âmes l’huile des bonnes œuvres, afin que nous méritions d’adorer la divine Passion du Christ notre Dieu, et d’arriver à la sainte Résurrection digne de tous nos hommages.

Celui qui a planté la vigne et appelé les ouvriers, le Sauveur, est proche ; venez, athlètes du jeûne, recevoir la récompense : car il est riche, ce dispensateur, et plein de miséricorde. Nous avons peu travaillé ; et cependant nos âmes recevront ses faveurs.

Ô Dieu ! qui donnes la vie, ouvre-moi les portes de la pénitence. Mon esprit veille dans ton temple saint ; mais le temple du corps qui lui est uni a contracté un grand nombre de taches. Prends pitié, et purifie-moi dans ta miséricordieuse bonté.

Venez, produisons des fruits de pénitence dans la vigne mystique ; travaillons, ne nous livrons point au manger et au boire ; accomplissons des œuvres de vertu dans la prière et le jeûne. Le Seigneur y prendra plaisir ; et, pour prix de notre travail, il nous donnera le denier qui délivre les âmes de la dette du péché, lui le seul Dieu, lui dont la miséricorde est grande.

Antiennes

Ã. De quinque pánibus et duóbus píscibus satiávit Dóminus quinque míllia hóminum.

Ã. Avec cinq pains et deux poissons le Seigneur a rassasié cinq mille hommes.

Antienne grégorienne “De quinque panibus”

par R. P. Joseph-Marie Mercier

Antienne De quinque panibus

Ã. Satiávit Dóminus quinque míllia hóminum de quinque pánibus et duóbus píscibus.

Ã. Le Seigneur a rassasié cinq mille hommes avec cinq pains et deux poissons.

Antienne grégorienne “Satiavit Dominus”

par R. P. Joseph-Marie Mercier

Antienne Satiavit Dominus