2 novembre — Comm. de tous les fidèles défunts
Le mot de la Sainte Écriture (2 Mcc 12, 46)
De l’Année liturgique de dom Guéranger
« Nous ne voulons pas, mes Frères, que vous ignoriez la condition de ceux qui dorment dans le Seigneur, afin que vous ne soyez pas tristes comme ceux qui n’ont point d’espérance » (1 Th 4, 12). C’était le désir de l’Apôtre écrivant aux premiers chrétiens ; l’Église, aujourd’hui, n’en a pas d’autre. Non seulement, en effet, la vérité sur les morts met en admirable lumière l’accord en Dieu de la justice et de la bonté : les cœurs les plus durs ne résistent point à la charitable pitié qu’elle inspire, et tout ensemble elle offre au deuil de ceux qui pleurent la plus douce des consolations. Si la foi nous enseigne qu’un purgatoire existe, où des fautes inexpiées peuvent retenir ceux qui nous furent chers, il est aussi de foi (Concile de Trente, Session 25) que nous pouvons leur venir en aide, il est théologiquement assuré que leur délivrance plus ou moins prompte est dans nos mains. Rappelons quelques principes de nature à éclairer ici la doctrine.
Tout péché cause un double dommage au pécheur, souillant son âme, et le rendant passible de châtiment. Tache vénielle, entraînant simple déplaisance du Seigneur, et dont l’expiation ne dure qu’un temps ; souillure allant jusqu’à la difformité qui fait du coupable un objet d’abomination devant Dieu, et dont par suite la sanction ne saurait consister que dans le bannissement éternel, si l’homme n’en prévient en cette vie l’irrévocable sentence. Même alors cependant, l’effacement de la coulpe mortelle, en écartant la damnation, n’enlève pas de soi toute dette au pécheur converti ; bien qu’un débordement inusité de la grâce sur le prodigue puisse parfois, comme il est régulier dans le baptême ou le martyre, faire disparaître jusqu’au derniers restes du péché, il est normal qu’en cette vie, ou par delà, une satisfaction soit donnée à la justice pour toute faute.
À contre-pied du péché, tout acte surnaturel de vertu implique un double profit pour le juste : il mérite à son âme un nouveau degré de grâce, et il satisfait pour la peine due aux fautes passées en la mesure de juste équivalence qui revient devant Dieu à ce labeur, cette privation, cette épreuve acceptée, cette libre souffrance d’un des membres de son Fils bien-aimé. Or, tandis que le mérite demeure personnel à qui l’acquiert, la satisfaction se prête comme valeur d’échange aux transactions spirituelles ; Dieu veut bien l’accepter pour acompte ou pour solde en faveur d’autrui, que le bénéficiaire soit de ce monde ou de l’autre, à la seule condition qu’il fasse lui aussi partie par la grâce de ce corps mystique du Seigneur qui est un dans la charité (1 Cor 12, 27).
C’est, comme l’explique Suarez en son beau traité des Suffrages (Section 6), la conséquence du mystère de la communion des saints manifesté en ces jours. Invoquant l’autorité des plus anciens comme des plus grands princes de la science, discutant les objections, les restrictions proposées depuis eux par plusieurs, l’illustre théologien n’hésite pas à conclure en ce qui touche plus particulièrement les âmes souffrantes : « J’estime que cette satisfaction des vivants pour les morts vaut en justice, et qu’elle est infailliblement acceptée selon toute sa valeur, et selon l’intention de celui qui l’applique , en sorte que, par exemple, si la satisfaction qui est de mon fait me valait en justice la remise de quatre degrés de purgatoire, elle en remet autant à l’âme pour laquelle il me plaît de l’offrir ».
On sait comment l’Église seconde sur ce point la bonne volonté de ses fils. Par la pratique des Indulgences, elle met à la disposition de leur charité l’inépuisable trésor où, d’âge en âge, les surabondantes satisfactions des saints rejoignent celles des Martyrs, ainsi que de Notre-Dame et la réserve infinie des souffrances du Seigneur. Presque toujours, elle approuve et permet que ces remises de peine, accordées aux vivants par sa puissance, soient appliquées aux morts, qui ne relèvent plus de sa juridiction, par mode de suffrage ; c’est-à-dire : en la manière où, comme nous venons de le voir, chaque fidèle peut offrir pour autrui à Dieu, qui l’accepte, le suffrage ou secours de ses propres satisfactions. C’est toujours la doctrine de Suarez, et il enseigne que l’Indulgence cédée aux défunts ne perd rien non plus de la certitude ou de la valeur qu’elle aurait eues pour nous qui militons encore. Or, c’est sous toutes formes et c’est partout que s’offrent à nous les Indulgences.
Sachons utiliser nos trésors, et pratiquer la miséricorde envers les pauvres âmes en peine. Est-il misère plus touchante que la leur ? si poignante, que n’en approche aucune détresse de la terre ; si digne pourtant, que nulle plainte ne trouble le silence de ce fleuve de feu qui, dans son cours imperceptible, les entraîne peu à peu à l’océan du paradis. Pour elles, le ciel est impuissant ; car on n’y mérite plus. Lui-même Dieu, très bon, mais très juste aussi, se doit de n’accorder leur délivrance qu’au paiement intégral de la dette qui les a suivies par delà le monde de l’épreuve. Dette contractée à cause de nous peut-être, en notre compagnie ; et c’est vers nous qu’elles se tournent, vers nous qui continuons de ne rêver que plaisirs, tandis qu’elles brûlent, et qu’il nous serait facile d’abréger leurs tourments ! « Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous au moins qui êtes mes amis ; car la main du Seigneur m’a touchée » (Iob 19, 21).
Mais si les suffrages du simple fidèle ont tant de prix, combien plus ceux de l’Église entière, dans la solennité de la prière publique et l’oblation du Sacrifice auguste où Dieu même satisfait à Dieu pour toute faute ! Ainsi qu’avant elle la Synagogue, l’Église dès son origine a toujours prié pour les morts. En la manière qu’elle honorait par des actions de grâces l’anniversaire de ses fils les Martyrs, elle célébrait par des supplications celui de ses autres enfants qui pouvaient n’être point encore au ciel. Quotidiennement, dans les Mystères sacrés, elle prononçait les noms des uns et des autres à cette double fin de louange et de prière ; et de même que ne pouvant néanmoins rappeler en toute église particulière chacun des bienheureux du monde entier, elle les comprenait tous en une commune mention, ainsi faisait-elle, à la suite des recommandations spéciales au lieu ou au jour, mémoire générale des morts. Ceux qui ne possédaient ni parents, ni amis, observe saint Augustin (Du soin porté aux morts, c. 4), n’étaient donc point dès lors cependant dépourvus de suffrages ; car ils avaient, pour obvier à leur abandon, la tendresse de la Mère commune.
L’Église ayant suivi dès le commencement, à l’égard de la mémoire des bienheureux et de celle des défunts, une marche identique, il était à prévoir que l’établissement d’une fête de tous les Saints au 9ème siècle appellerait bientôt la Commémoration présente des trépassés. En 998, selon la Chronique de Sigebert de Gembloux, l’Abbé de Cluny, saint Odilon, l’instituait dans tous les monastères de sa dépendance, pour être célébrée à perpétuité au lendemain même de la Toussaint ; c’était sa réponse aux récriminations de l’enfer le dénonçant, lui et ses moines, en des visions rapportées dans sa Vie, comme les plus intrépides secoureurs d’âmes qu’eussent à redouter, au lieu d’expiation, les puissances de l’abîme. Le monde applaudit au décret de saint Odilon, Rome l’adopta, et il devint la loi de l’Église latine entière.
Les Grecs font une première Commémoration générale des morts la veille de notre dimanche de Sexagésime, qui est pour eux celui de Carême prenant ou d’Apocreos, et dans lequel ils célèbrent le second avènement du Seigneur. Ils donnent le nom de samedi des âmes à ce jour, ainsi qu’au samedi d’avant la Pentecôte, où ils prient de nouveau solennellement pour tous les trépassés.
Prières
Oratio
Fidélium Deus, ómnium Cónditor et Redémptor : animábus famulórum, famularúmque tuárum remissiónem cunctórum tríbue peccatórum ; ut indulgéntiam quam semper optavérunt, piis supplicatiónibus consequántur : Qui vivis.
Oratio
Deus, indulgentiárum Dómine : da animábus famulórum famularúmque tuárum refrigérii sedem, quiétis beatitúdinem et lúminis claritátem. Per Dóminum.
Oratio
Deus, véniæ largítor, et humánæ salútis amátor : quæsumus cleméntiam tuam ; ut ánimas famulórum famularúmque tuárum, quæ ex hoc sæculo transiérunt, beáta María semper Vírgine intercedénte cum ómnibus Sanctis tuis, ad perpétuæ beatitúdinis consórtium perveníre concédas.
Oraison
Ô Dieu, Créateur et Rédempteur de tous les fidèles, accordez aux âmes de vos serviteurs et de vos servantes la rémission de tous leurs péchés, afin qu’elles obtiennent, par nos humbles prières, le pardon qu’elles ont toujours désiré. Vous qui vivez.
Oraison
Ô Dieu, Seigneur des miséricordes, accordez aux âmes de vos serviteurs et de vos servantes, le lieu du rafraîchissement, la béatitude du repos et la splendeur de la lumière.
Oraison
Ô Dieu, qui accordez le pardon et qui aimez à sauver les hommes, nous demandons à votre bonté que, par l’intercession de la bienheureuse Marie toujours Vierge et de tous vos Saints, vous accordiez aux âmes de vos serviteurs et de vos servantes, qui sont morts, de parvenir au séjour de la béatitude éternelle.
Prière de Sainte Gertrude d’Helfta (1256-1301)
Père Éternel, j’offre le Très Précieux Sang de votre divin Fils Jésus, en union avec toutes les Messes qui sont dites aujourd’hui dans le monde entier, pour toutes les saintes âmes du purgatoire, pour les pécheurs en tous lieux, pour les pécheurs dans l’Église universelle, pour ceux de ma maison et de mes proches. Ainsi soit-il.
Prière de Saint Bonaventure (1217-1274)
Sainte Marie, Mère de Dieu, consolatrice des affligés et secours des chrétiens ; douce Vierge, Mère de notre Sauveur Jésus et de tous les fidèles, ô vous qui êtes aussi la Mère de toutes les pauvres âmes qui souffrent tant dans le purgatoire, j’implore avec confiance l’immense bonté de votre Cœur, et je vous prie d’intercéder auprès de votre divin Fils, afin que, par les mérites de son saint Sacrifice, les âmes qui sont châtiées et purifiées par le feu de la souffrance, comme l’or dans la fournaise, obtiennent le soulagement et la délivrance auxquels elles aspirent. Ainsi soit-il.
Antienne
Ã. Ego sum resurrectio et vita : qui credit in me, etiam si mortuus fuerit, vivet ; et omnis qui credit in me, non morietur in æternum.
Ã. C’est moi qui suis la résurrection et la vie : qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et qui croit en moi ne mourra pas pour toujours.