Laissez-moi, mes frères, laissez-moi regarder le ciel plutôt que la terre, afin que mon âme s’oriente déjà dans la direction qui va la conduire à Dieu.
Saint Martin

Vie de Saint Martin de Tours (316-397)
tirée des leçons des Matines

Martin, né vers 316 à Sabarie en Pannonie (Szombathely en Hongrie), s’enfuit à l’église, malgré ses parents, quand il eut atteint sa dixième année, et se fit inscrire au nombre des catéchumènes. Enrôlé à quinze ans dans les armées romaines, il servit d’abord sous Constantin, puis sous Julien. Tandis qu’il n’avait pas autre chose que ses armes et le vêtement dont il était couvert, un pauvre lui demanda, près d’Amiens, l’aumône au nom du Christ, et Martin lui donna une partie de sa chlamyde. La nuit suivante, le Christ lui apparut revêtu de cette moitié de manteau, faisant entendre ces paroles : « Martin, simple catéchumène, m’a couvert de ce vêtement. »
À l’âge de dix-huit ans, il reçut le baptême. Aussi, ayant abandonné la vie militaire, se rendit-il auprès d’Hilaire, Évêque de Poitiers, qui le mit au nombre des Acolytes. À l’âge de 44 ans, Martin bâtit un monastère, où il vécut quelque temps de la manière la plus sainte, avec quatre-vingts moines. Dix ans plus tard, il est choisi pour devenir évêque de Tours. Étant tombé gravement malade de la fièvre, à Candes, bourg de son diocèse, il priait instamment Dieu de le délivrer de la prison de ce corps mortel. Ses disciples qui l’écoutaient, lui dirent : « Père, pourquoi nous quitter ? à qui abandonnez-vous vos pauvres enfants ? » Et Martin, touché de leurs accents, priait Dieu ainsi : « Ô Seigneur, si je suis encore nécessaire à votre peuple, je ne refuse point le travail. »
Ses disciples voyant que, malgré la force de la fièvre, il restait couché sur le dos et ne cessait de prier, le supplièrent de prendre une autre position, et de se reposer en s’inclinant un peu, jusqu’à ce que la violence du mal diminuât. Mais Martin leur dit : « Laissez-moi regarder le ciel plutôt que la terre, pour que mon âme, sur le point d’aller au Seigneur, soit déjà dirigée vers la route qu’elle doit prendre. » La mort étant proche, il vit l’ennemi du genre humain et lui dit : « Que fais-tu là, bête cruelle ? esprit du mal, tu ne trouveras rien en moi qui t’appartienne. » Et, en prononçant ces paroles, le Saint rendit son âme à Dieu, étant âgé de quatre-vingt-un ans. Une troupe d’anges le reçut au ciel, et plusieurs personnes, entre autres saint Séverin, Évêque de Cologne, les entendirent chanter les louanges de Dieu.
D’un sermon du Cardinal Pie sur Saint Martin (14 nov. 1858)
Martin a été l’un des plus grands, l’un des plus vrais chrétiens qui se soient vus ici-bas. Mais, hélas ! mes très chers Frères, si nous venons à comparer notre christianisme, le christianisme de notre temps, avec celui de Martin, franchement, n’y a-t-il pas lieu de se demander si c’est le même évangile qui nous a été enseigné, si c’est le même baptême que nous avons reçu, si ce sont les mêmes engagements que nous avons pris ? Un christianisme qui capitule journellement avec Satan, qui pactise avec les pompes du monde, qui amalgame les ténèbres avec la lumière, Bélial avec Jésus-Christ ; un christianisme qui tourne à tout vent de doctrine, qui contrôle et qui redresse à tout instant les vérités de la foi, les enseignements de l’Église par les préjugés et les opinions mobiles du temps ; un christianisme qui doute de lui-même, et qui n’a ni le courage ni la dignité de ses convictions ; un christianisme, hélas ! trop souvent sans esprit de pénitence, sans pratique de mortification, et qui s’imagine pouvoir subsister dans une vie commode et sensuelle ; un christianisme qui laisse au second ou plutôt au dernier rang dans nos affections le sentiment qui doit être le premier et le plus fort de tous : maximum et primum ; un christianisme sans recueillement intérieur, sans union à Dieu, sans contemplation, sans oraison, disons le mot, un christianisme sans amour, ou du moins sans cet amour dominant de Dieu que l’ancienne comme la nouvelle loi place en tête de tout le devoir religieux ; enfin un christianisme trop souvent personnel, égoïste, étranger à la noble passion du dévouement au bien spirituel et au salut éternel du prochain : mes Frères, suis-je dans l’exagération et dans le faux quand je fais cette peinture ?
À Dieu ne plaise que je méconnaisse ce qui reste encore parmi vous de vrais disciples de Jésus-Christ, qui n’ont point courbé le genou devant les autels de Baal ! Ceux-là sont d’autant plus grands, d’autant plus admirables pour moi, qu’il leur faut la fermeté de l’airain, la dureté du diamant, pour ne pas se laisser entamer par l’esprit corrosif ni amollir par les tendances sensuelles de leur siècle. Mais, à part ces généreux enfants de l’Évangile, n’est-il pas vrai que partout l’esprit chrétien s’altère, que la mondanité triomphe, que les convictions chancellent, que la mortification volontaire n’existe plus, que le péché abonde, que la charité du grand nombre se refroidit, que l’amour de Dieu n’est plus le premier de nos amours, que le nom de Jésus n’est presque plus sur nos lèvres parce qu’il n’est plus guère dans nos cœurs, que l’individualisme glace et dessèche tout sentiment généreux ? Ah ! mes Frères, que dirait Martin s’il revenait parmi nous ? Que dirait-il s’il voyait cette société d’aujourd’hui, lui qui déjà se plaignait de la décadence des âmes ; lui qui ne rendait qu’à un seul de ses contemporains, à Paulin de Bordeaux, le témoignage d’une vie vraiment et complétement modelée sur les préceptes de Jésus-Christ. Mes Frères bien-aimés, étudions donc avec une ardeur nouvelle la grande vie de Martin, étudions ses actes, ses paroles, ses vertus ; inspirons-nous de son esprit ; et puisque nos âmes s’affaissent, puisque notre christianisme décline et s’affaiblit, ayons les yeux attachés sur ce parfait observateur de l’Évangile, sur cette image authentique du divin modèle. Il y a opportunité dans le culte de Martin pour notre régénération personnelle ; il y a opportunité aussi, il y a opportunité surtout pour la régénération publique et sociale.

Prières

Oraison

Ô Dieu, qui voyez que nous ne saurions nullement subsister par nos propres forces ; faites, dans votre bonté, que l’intercession du bienheureux Martin, votre Pontife et Confesseur, nous fortifie contre tous les maux. Par Jésus-Christ, notre Seigneur.

Oratio

Deus, qui cónspicis, quia ex nulla nostra virtúte subsístimus : concéde propítius ; ut, intercessióne beáti Martíni Confessóris tui atque Pontíficis, contra ómnia advérsa muniámur. Per Dóminum nostrum.

Prière de Dom Prosper Guéranger (1805-1875)

Ô saint Martin, prenez en pitié la profondeur de notre misère ! L’hiver, un hiver plus funeste que celui où vous partagiez votre manteau, sévit sur le monde ; beaucoup périssent dans la nuit glaciale causée par l’extinction de la foi et le refroidissement de la charité. Venez en aide aux malheureux dont le fatal engourdissement ne songe pas à demander de secours. Prévenez-les sans attendre leur prière, au nom du Christ dont se recommandait le pauvre d’Amiens, tandis qu’eux n’en savent plus trouver le nom sur leurs lèvres. Pire que celle du mendiant est cependant leur nudité, dépouillés qu’ils sont du vêtement de la grâce que se transmettaient, après l’avoir reçu de vous, leurs pères.
Combien lamentable est devenu surtout le dénuement de ce pays de France, que vous aviez rendu riche autrefois des bénédictions du ciel, et dans lequel vos bienfaits furent reconnus par de telles injures ! Daignez considérer pourtant que nos jours ont vu commencer la réparation, près du saint tombeau rendu à notre culte filial. Ayez égard à la piété des grands chrétiens dont le cœur sut se montrer, comme la générosité des foules, à la hauteur des plus vastes projets ; voyez, si réduit que le nombre en demeure encore, les pèlerins reprenant vers Tours le chemin que peuples et rois suivirent aux meilleurs temps de notre histoire.
Nous savons néanmoins que votre zèle pour l’avancement du règne de Dieu ne connut pas de frontières. Inspirez donc, fortifiez, multipliez les apôtres qui poursuivent sur tous les points du monde, comme vous le fîtes chez nous, les restes de l’infidélité. Ramenez l’Europe chrétienne, où votre nom est demeuré si grand, à l’unité que l’hérésie et le schisme ont détruite pour le malheur des nations. Malgré tant d’efforts contraires, gardez à son poste d’honneur, à ses traditions de vaillante fidélité, le noble pays où vous naquîtes. Puissent partout vos dévots clients éprouver que le bras de Martin suffit toujours à protéger ceux qui l’implorent. Au ciel aujourd’hui, chante l’Église, « les Anges sont dans la joie, les Saints publient votre gloire, les Vierges vous entourent et elles disent : « Demeurez avec nous toujours ! » N’est-ce pas la suite de ce que fut votre vie sur terre, où vous et les vierges rivalisiez d’une vénération si touchante ; où Marie leur Reine, accompagnée de Thècle et d’Agnès, se complaisait à passer déjà de longues heures en votre cellule de Marmoutier, devenue, nous dit votre historien, l’égale des pavillons des Anges ? Imitant leurs frères et sœurs du ciel, vierges et moines, clercs et pontifes se tournent vers vous, sans nulle crainte que leur multitude ne nuise à aucun d’eux à vos pieds, sachant que votre seule vie suffit à les éclairer tous, qu’un regard de Martin leur assurera les bénédictions du Seigneur.

Antienne

Ã. O beatum virum cuius anima paradisum possidet ; unde exsultant Angeli, lætantur Archangeli, chorus sanctorum proclamat, turba virginum invitat : Mane nobiscum alleluia.

Ã. Ô bienheureux homme, dont l’âme est en possession du paradis! Aussi les Anges tressaillent, les Archanges se réjouissent, le chœur des Saints publie sa gloire, les Vierges l’entourent et elles disent : Demeurez avec nous, alleluia.

Antienne grégorienne “O beatum virum”

par R. P. Joseph-Marie Mercier

Antiennes à Saint Odon